Ce qu'on entend par le mot Nègres. Sous cette dénomination doit-on comprendre tous les Noirs ? Disparité d'opinion sur leur origine. Unité du type primitif de la race humaine.
Sous le nom d'Éthiopiens, les Grecs comprenoient tous les hommes noirs. Cette assertion s'appuie sur des passages de la bible des Septante, d'Hérodote, Théophraste, Pausanias, Athénée, Héliodore, Eusèbe, Flavius Josephe[1]. Ils sont appelés de même par Pline l'ancien et Térence[2]. On distinguoit les Éthiopiens orientaux, ou indiens, ou d'Asie, des Éthiopiens occidentaux, ou d'Afrique. Rome connut ceux-ci sans doute dans ses guerres avec les Carthaginois, qui en avoient dans leurs armées, à ce que prétend Macpherson, fondé sur un passage de Frontin[3]. Rome ayant plus que la Grèce des relations fréquentes avec les côtes occidentales de l'Afrique, quelquefois, dans les auteurs latins, les Noirs furent appelés Africains[4]. Mais en Orient, on continua de les désigner sous le nom d'Éthiopiens, parce qu'ils y arrivoient par la voie de l'Éthiopie, qui depuis l'an 651 paya, pendant assez longtemps aux Arabes, un tribut annuel d'esclaves, et qui, pour acquitter ce tribut, en tiroit peut-être de l'intérieur de l'Afrique[5]. On les employoit à la guerre, car dans celle des croisades, on voit à Hébron, et au siége de Jérusalem, en 1099, des Noirs à cheveux crépus, que Guillaume de Malmesbury appelle également Éthiopiens[6].
Chez les modernes, quoique le nom d'Éthiopie soit exclusivement réservé à une région de l'Afrique, beaucoup d'écrivains, espagnols et portugais surtout, ont appelé Éthiopiens tous les Noirs. Il n'y a pas encore trente ans que le docteur Ehrlen imprimoit, à Strasbourg, un traité de servis Æthiopibus Europeorum in coloniis Americæ[7]. La dénomination d'Africains prévaut actuellement, et l'emploi de ces deux mots est également abusif, puisque d'une part l'Éthiopie, dont les habitans ne sont pas du noir le plus foncé[8], n'est qu'une partie d'Afrique, et que de l'autre il y a des Noirs asiatiques. Hérodote les nomme Éthiopiens à cheveux longs, pour les distinguer de ceux d'Afrique, qui ont les cheveux crépus ; car autrefois on croyoit que ceux-ci n'appartenoient qu'à l'Afrique, et que les Noirs à cheveux longs ne se trouvoient que dans le continent asiatique. Quelques réglemens avoient défendu d'en importer dans les îles de France et de la Réunion ; mais les relations des voyageurs nous ont appris que dans le continent africain, ainsi qu'à Madagascar, il y a aussi des Nègres à cheveux longs : tels sont, au centre de l'Afrique, les habitans de Bornou[9] ; tels étoient les Nègres pasteurs de l'île de Cerné, où les Carthaginois avoient des comptoirs[10]. D'un autre côté les indigènes des îles des Andamans, dans le golfe du Bengale, sont des Noirs à cheveux crépus ; dans diverses parties de l'Inde, les montagnards en ont presque la couleur, la figure et la chevelure. Ce fait est consigné dans un savant mémoire de Francis Wilford, associé de l'Institut national[11]. Il ajoute que les plus anciennes statues des divinités indiennes ont la figure des Nègres. Ces considérations fortifient le système, qu'autrefois cette race a couvert une grande partie du continent asiatique...