On comprendra facilement que tant de belles actions n'étaient point faites pour attirer à mons Caramel les bonnes grâces des commensaux du bon M. Picrate.
Hélas !
Caramel était jeune, et l'on eût pu croire qu'il faisait tout son possible pour étendre le cercle de ses ennemis, ainsi qu'on va le voir par la suite.
Comme toutes les maisons qui se respectent, la maison où demeurait M. Agénor Picrate avait une concierge ; celle-ci s'appelait Mame Michel et elle avait un petit garçon qui se nommait Cadet.
Bien souvent, de la fenêtre où il flânait tout le long du jour, Caramel avait plongé des regards curieux dans la loge de Mame Michel, et une grosse envie le poignait d'y aller faire un petit tour et de s'amuser un peu avec le jeune Cadet.
Mais il fallait pour cela déjouer la prudente surveillance de M. Picrate, de Stéphanie, de Jucot et de Minou.
Ah ! si jamais il pouvait s'échapper seulement cinq minutes !
Ce jour arriva enfin.
Or, ce jour-là, Mame Michel était en train de donner un coup de balai à sa loge et le petit Cadet s'amusait avec un théâtre Guignol que lui avait donné son grand-oncle, quand tout à coup Mlle Césarine, la bonne du quatrième, entra chez Mame Michel.
Tiens ! c'est vous, mam'selle Césarine. Et quoi de nouveau ?
Oh ! vous ne savez pas ? Eh bien ! imaginez-vous que Mme Lamanche, du quatrième
Chut ! fit Mame Michel en désignant Cadet.
Puis tout bas :
Cet enfant est si malin ! Il ne faut jamais rien dire devant lui.
Puis à son fils :
Tiens, Cadet, emporte donc ton théâtre, et va jouer avec le petit de l'épicier.
Cadet aurait bien voulu écouter la conversation, mais il lui fallut obéir.
Il ramassa donc ses cliques et ses claques.
Ce n'était pas une opération facile, car le théâtre Guignol donné par le grand-oncle n'était pas un jouet de quatre sous.
Il comportait un nombre considérable d'acteurs, tels que Guignol, le Juge, le Gendarme, la fameuse potence, Polichinelle et le Commissaire, que ce gueux de Pulcinello assomme, sans compter le Diable qui, finalement, et pour le plus grand triomphe de la vertu, emporte Polichinelle dans les braises de l'enfer.
Il emporta son théâtre en marmottant et s'en fut la tête basse.
Justement, par la porte où il venait de sortir, entrait Caramel qui avait pu échapper à ses quatre farouches geôliers.
Cependant, la conversation continuait entre Mame Michel et Mlle Césarine, et comme l'histoire de Mme Lamanche menaçait de tirer en longueur :
Si vous déjeuniez avec moi, mam'selle Césarine ? proposa Mame Michel.
Oh ! non merci ! minauda la locataire.
Vous direz merci après ! continua la concierge.
C'est que je suis pressée.
Allons donc ! une tasse de café au lait, c'est bien vite avalé.