Je sais pas pourquoi, au départ. On devient pas truand par vice. Le vice, ça n'existe pas. Il y a plutôt des concours de circonstances et des réflexions différentes.
Ainsi commence le début du récit de Marcel Rozinski. Un récit qui va nous entraîner au bagne de Cayenne en 1938. Nous décrire comment Marcel Rozinski a réussi à dérober deux millions de dollars à la mafia dix ans plus tard et que, s'il l'a fait, c'est uniquement pour l'amour d'une femme. Et puis il y a Cuba, et les barbus. Et Haïti, et ce cinglé de Duvalier. Et au final, une ultime vengeance...
J'ai fait la connaissance de Marcel Rozinski à Miami Beach en 1995 alors que ce dernier venait rendre visite à son vieil ami et camarade de bagne Joseph Lafortune. Rozinski avait besoin de se livrer, de revenir sur son passé trouble en mettant sur papier ses évènements marquants. D'après ce qu'il m'a expliqué à l'époque, ce n'était pas tant pour une hypothétique postérité mais, plutôt, pour laisser une trace de sa vie à sa famille, une famille à qui il n'avait jamais parlé de son passé.
Tout de même, ai-je alors objecté, ne serait-il pas plus simple et plus rapide de simplement conter à ses proches ses exploits passés de vive voix ?
Nous étions assis à la terrasse du Cardozo, l'un des nombreux hôtels d'Ocean Drive faisant face à la plage, ce même hôtel où il avait habité plus de cinquante ans plus tôt et où il avait décidé de revenir après toutes ces années car l'endroit lui rappelait beaucoup de souvenirs. Des souvenirs à la fois heureux et douloureux.
Il a réfléchi quelques instants avant de répondre. Puis, avec un demi sourire, il m'a répondu ce qui suit :
- Je ne suis ni un homme de mots, ni un conteur. Et puis il y a autre chose.
Il s'est interrompu un instant, le temps de boire son café con leche. Ensuite il s'est tourné vers moi et a continué.
- Je préfère qu'ils apprennent tout ça après ma mort. Et le plus tard possible, a-t-il ajouté en souriant. Alors, tu es prêt à te lancer avec moi dans ce périple ?
A mon tour j'ai bu mon café, le temps de réfléchir un instant. Je n'étais pas sûr de vouloir partager certains secrets. Et puis, d'après ce qu'il m'avait déjà mentionné quant à son passé l'exercice risquait de demander pas mal de temps, et je le lui dit. Il me fit alors une proposition que je ne pus refuser.
- Après ma mort, tu enverras une copie de ce récit à ma famille. Ensuite, tu seras libre d'en faire ce que tu veux, et même de le faire publier.
Il me prit une chambre dans le même hôtel et nous passâmes deux mois ensemble à entrer le récit de sa vie dans mon Macintosh.
Marcel Rozinski a quitté ce monde vingt ans plus tard, soit en 2015.