Dans sa chambre, à l'étage le plus élevé d'une tour, Élaine la belle, Élaine l'aimable, Élaine, la blanche fille d'Astolat, gardait l'écu sacré de Lancelot. Elle l'avait d abord placé à l'endroit où les premiers rayons du matin pouvaient le frapper et la réveiller par leur éclat. Plus tard, craignant la rouille ou quelque souillure, elle lui fit un fourreau de soie et y broda toutes les armoiries blasonnées sur l'écu, avec les couleurs qui leur étaient propres; elle ajouta de son idée une bordure de fantaisie composée de rinceaux et de fleurs, et des oiselets à la gorge jaune dans leur nid. Non contente de cela, chaque jour quittant sa maison et son tendre père, elle montait à la tour de l'est, et, après y être entrée, verrouillait sa porte, ôtait la housse de l'écu, et, une fois dépouillé, elle essayait d'y lire. Tantôt elle devinait dans les armes un sens caché, tantôt elle se contait à elle-même quelque jolie histoire au sujet de tous les coups que l'écu avait reçus, de toutes les égratignures que la lame y avait faites, avec force conjectures sur le temps et l'endroit où elles avaient eu lieu: «Cette coupure est fraîche, celle-là a dix ans; ce coup doit avoir été donné à Carlisle, celui-là à Caerléon, celui-ci à Camelot. Ah! bon Dieu, quelle entaille! En voici une autre: comment n'a-t-il pas été tue? Dieu brisa sa forte lance, lit rouler à terre son ennemi, et sauva le paladin.» Elle vivait ainsi en proie à la rêverie.
Comment la blanche Élaine était-elle en possession de ce bel écu de Lancelot, elle qui ne savait même pas le nom du chevalier? Il le lui avait laissé en allant jouter pour le grand diamant dans les tournois qu'Arthur avait organisés sous ce nom, parce qu'un diamant en était le prix...