On doit regarder les Grecs comme le premier peuple chez qui la guerre ait commencé à devenir un art ; mais il paraît peu étonnant qu'ils en fissent l'objet d'une étude toute particulière, quand on songe qu'avec une étendue de pays qui n'égale pas la moitié de l'Angleterre, ce peuple, affaibli par vingt guerres intestines, comprenait encore qu'il pouvait disputer l'empire du monde aux monarques les plus puissans.
Ce prodige n'est pas dû à son seul courage, comme le disent tous les historiens modernes ; il est le résultat de la science militaire. Sans cette science, les armées innombrables qui s'élançaient de l'Asie eussent étouffé la Grèce. Le courage, sans la tactique, enfante le dévoûment héroïque de Léonidas, et les Perses viennent saccager la ville d'Athènes ; dans une position bien moins avantageuse, avec une armée plus faible en nombre et moins aguerrie que celle des Thermopyles, Miltiade, au moyen d'une manœuvre savante, écrase l'armée entière de Darius.
Jusqu'au temps d'Homère, les traditions ne fournissent que des conjectures sur l'état de l'art militaire ; mais l'Iliade fourmille de descriptions de marches et de combats, qui démontrent que déjà l'ordre et la discipline étaient admis dans les armées.
« On voit, dit Homère, s'avancer les nombreuses phalanges des Grecs. Elles ont à leur tête chacune leurs chefs, qu'elles suivent dans un profond silence, afin d'entendre mieux leurs ordres, et de les exécuter plus promptement. Les Troyens, au contraire, sont dans leur camp comme des troupeaux répandus au milieu des parcs, qui font retentir de leur bêlement tout le pâturage. »
Ailleurs, Homère donne une description admirable de la phalange et de ses mouvemens.
« Les rangs sont si serrés que les piques soutiennent les piques, les casques joignent les casques, les boucliers appuient les boucliers. Ces bataillons, hérissés de fer, s'ébranlent ; cependant les Troyens les préviennent et tombent sur eux. Hector paraît le premier, et, culbutant tout ce qui s'oppose à son passage, s'ouvre un chemin pour arriver aux tentes et aux vaisseaux des Grecs. Mais lorsqu'il parvient aux phalanges d'Argos, croyant les enfoncer, il est contraint de s'arrêter, quoiqu'il les charge avec furie ; car ces Grecs intrépides le reçoivent sans se rompre, et le repoussent à coups de piques et d'épées.
Au milieu d'eux est Achille, qui donne ses ordres, et qui les presse de marcher. Ce héros était venu à Troie avec cinquante vaisseaux qui portaient chacun cinquante hommes. Il les avait partagés en cinq corps, que cinq capitaines, d'un courage éprouvé et d'une fidélité connue, commandaient sous lui. »
Ainsi, Achille avait partagé ses deux mille cinq cents hommes, comme, plus tard, les Romains divisèrent leurs cohortes, et comme nous avons formé nous-mêmes nos bataillons.
On voit aussi, dans l'Iliade, que les Grecs n'étaient pas étrangers à l'art de fortifier un camp, puisque Nestor dit au fils d'Atrée : « Nous enfermerons notre camp dans une muraille flanquée de tours très élevées, pour servir de rempart à nos vaisseaux et à nos troupes. On y placera, d'espace en espace, de bonnes portes assez grandes pour y faire passer nos chars, et nous l'environnerons d'un fosse large et profond, que les hommes et les chevaux ne puissent franchir. Ces travaux nous assureront contre les sorties de nos ennemis, et mettront notre camp hors d'insulte. »
Quant à la cavalerie, Homère n'en présente aucun combat dans l'Iliade : tous se livrent à pied ou sur des chars.
Tels étaient les premiers pas faits par l'art militaire, lorsque Cyrus entreprit la conquête de l'Asie. Xénophon nous apprend que la discipline des Perses, à cette époque, égalait celle de sa nation. Mais l'Asie-Mineure était peuplée de villes grecques dont les habitans combattaient très peu différemment des Grecs de l'Europe ; Crésus en avait même beaucoup à sa solde. On en désirait dans toutes les armées, et c'était leur tactique et leur d