Extrait: Cette collection de philosophie dont la direction m'a été confiée par les Éditions du Siècle a été placée sous le signe de l'intellectualisme. Or M. Chestov, au regard de qui a quelque divination de la nature des esprits, compte parmi les mystiques.
Dois-je donc me disculper d'introduire sous cette rubrique intellectuelle une œuvre de ce philosophe ? Une telle publication va-t-elle à l'encontre du but annoncé de l'entreprise ? Faut-il, du moins, faire valoir des circonstances atténuantes ? Je les trouverais dans les termes mêmes de la notice qui définit l'esprit de la collection. Il y est dit que l'on n'y témoignera pas d'un exclusivisme intransigeant et que l'on s'y montrera « soucieux principalement de la qualité des œuvres ». Une telle déclaration suffirait à me couvrir aux yeux de tous ceux qui connaissent l'œuvre de M. Léon Chestov dont le renom était grand déjà dans son pays avant la guerre, dont les Allemands et les Anglais ont recueilli avant nous la pensée dans leur langue et dont aucun homme animé d'une vie intérieure n'a lu, sans en être remué, les Révélations de la mort et la Nuit de Gethsemani. Ce sont les seuls textes de l'écrivain russe qui aient été jusqu'ici traduits en français si l'on excepte les pages remarquables consacrées à Descartes et à Spinoza et qui furent publiées dans le Mercure de France.
D'un tel point de vue je pourrais invoquer encore une autre considération et faire valoir que, dans cet ouvrage sur Tolstoï et Nietzsche, l'élément mystique n'est que fort peu apparent et que ceux-là seuls, qui sont porteurs de la baguette de coudrier, en sauront distinguer les ondes souterraines. Car elles affleurent rarement à la surface de l'œuvre.