Pour beaucoup, le nom de Jonas n'évoque que l'étrange histoire du prophète « qui a passé trois jours dans le ventre d'une baleine ». Ancêtre de Pinocchio, cette figure populaire entretient de subtiles relations aussi bien avec la littérature (le Moby Dick de Melville) et la psychanalyse (le complexe de Jonas), qu'avec le monde musulman ou la théologie chrétienne. Le mystérieux « signe de Jonas » évoqué par l'Evangile a nourri de nombreux commentaires présentant Israel sous un jour souvent péjoratif.
Or, le vrai Jonas, celui de la Bible, est avant tout hébreu. Farouchement rebelle à sa propre vocation, refusant de convertir à la Parole de Dieu les paiens de Ninive, il semble même jalousement nationaliste. Mais l'histoire de cette insoumission, avec ses mille péripéties, nous transmet un message qui traverse toute la tradition judaique: le devenir de l'homme est encore en attente, la création inachevée, et Dieu, avant d'être Rigueur et Toute-Puissance, doit continuellement faire preuve de patience et de miséricorde, dût-il violer la volonté de ses propres prophètes. Tout prophète, en ce sens, est dissident de Dieu et ne témoigne de sa vérité que par le biais de ses refus et de ses échecs.
Ruth Reichelberg, doyen de la faculté des lettres de l'université Bar-Ilan, éclaire l'archétype du prophète à la lumière d'une exégèse détaillée du livre de Jonas, l'un des plus denses de la Bible.