EXTRAIT; LE PROBLÈME SOCIOLOGIQUE ET MÉTAPHYSIQUE DE LA TECHNIQUE...
Il ne me paraît pas exagéré de dire que le problème de la technique est devenu celui du destin de l'homme et du destin de la culture. Dans ce siècle d'incrédulité, où fléchissent non seulement l'ancienne foi religieuse, mais aussi la foi humaniste du XIXe siècle, la seule foi que l'homme de la civilisation moderne conserve est celle dont il entoure la technique, sa puissance et son progrès infini. Et tout ce qui s'accomplit dans le monde conspire à alimenter cette nouvelle croyance. La technique représente le dernier amour de l'homme qui est tout prêt, sous l'influence de cet amour, à modifier sa propre image. Pour pouvoir croire, l'homme aspirait aux miracles tout en craignant qu'il n'en existât plus. Or la technique accomplit sous ses yeux d'authentiques prodiges. Le problème de la technique est un des plus angoissants pour la conscience chrétienne, qui n'en a pas encore découvert la valeur et la signification.
Les chrétiens adoptent à l'égard de la technique deux attitudes différentes, mais qui l'une et l'autre, nous apparaissent comme superficielles et incomplètes. La majorité d'entre eux considère la technique comme indifférente et neutre à l'égard de la religion, comme « l'affaire » des ingénieurs. Elle accroît le bien-être, elle apporte dans la vie des perfectionnements, dont bénéficient sans doute aussi les chrétiens, mais son domaine est un domaine particulier qui n'a rien à voir avec leur conscience ou avec leur esprit et qui ne leur pose aucun problème spirituel. Quant aux autres, ils subissent la technique comme un mal apocalyptique, terrifiés par le pouvoir sans cesse croissant qu'elle exerce sur la vie humaine, ils voient en elle le triomphe de l'Antéchrist, la Bête montée de l'abîme.