Un village en Grèce du Nord, vers 1960 mais le décor est à peine esquissé, sans la moindre couleur locale. Une petite fille de huit ans, qui de nouvelle en nouvelle va grandir, devenir adolescente, puis femme, quitter le pays pour dautres aventures mais on ne sait pas, et peu importe, ce qui relève ici de lautobiographie ou du rêve.
Quand parut La fiancée de lan passé, il y a près de vingt ans, le lecteur grec découvrit un monde à part, que lauteure allait explorer plus avant dans un second recueil dhistoires puis dans ses grands romans. Un monde profondément zatélien, cest-à-dire à la fois étrange et familier : on y retrouve celui de nos ancêtres, qui disparaît aujourdhui sous nos yeux avec ses villages, ses superstitions, ses rituels, ses conteurs, un monde où lhomme et les éléments se tutoient encore, où magie et réalité se donnent encore la main, et dont la génération de Zyrànna Zatèli aura été le témoin ultime.
Une magicienne, cette Zyrànna. Il faut lêtre pour avoir si peu oublié lenfant quelle fut ; pour peindre le monde avec un tel mélange dinnocence et de sensualité, de cruauté et de tendresse, dhorreur et démerveillement ; pour transfigurer ainsi, mais sans les déformer, les événements les plus quotidiens, les personnages les plus humbles ; pour donner à son récit, en même temps, le charme de la nostalgie et la fraîcheur du neuf, comme un vieux film en noir et blanc qui serait aussi en couleurs.
Ici la violence est plus douce quailleurs, et la douceur plus violente. Ces histoires quon dirait à la fois totalement imaginées et totalement vraies, décrivent avec beaucoup dacuité, mine de rien, le grand bouleversement des années 60, mais paraissent évoluer aussi au-delà du temps. Elles plongent tout droit vers lessentiel, à savoir lamour et la mort, également présents, obsédants, au long de ces pages où sans fin ils sentrelacent.
Ce livre, dès sa sortie, a rencontré un public fervent, charmé par le regard magique de lauteure, cette façon si naturelle de voir le merveilleux, de mêler visions terribles et humour, désolation et légèreté ; charmé aussi par cette voix souple, limpide, musicale, jouant sur les rythmes et les sonorités avec, déjà, une belle maîtrise. Mais ce qui a touché tant de lecteurs, sans doute, cest aussi laudace tranquille, toute simple, de cette parole de femme affirmant sa liberté amoureuse, balayant quelques tabous dun revers de main négligent.
Laversion (réelle ou supposée) du public français vis-à-vis du genre de la nouvelle a empêché pendant quinze ans La fiancée de lan passé de venir se raconter aux lecteurs francophones. Elle fut dabord accueillie, en 2002, par les éditions du Passeur à Nantes, annexe dune formation aux métiers de lédition, le CECOFOP, entreprise exemplaire. Bravo encore à Yves Douet, Patrice Viart et leurs étudiants pour leur compétence et leur gentillesse. Ce fut un travail passionnant, sympathique et le résultat ne ma pas déçu. CECOFOP et Passeur nexistent plus, hélas, les livres sont partis au pilon, et cest publie.net qui prend le relais.
Les neuf courtes histoires que voici sont lintroduction, le passeur idéal vers les grandes fictions zatéliennes qui suivent, Le crépuscule des loups et La mort en habits de fête, toutes les deux publiées au Seuil ; mais cette Fiancée-là mérite amplement dêtre lue et aimée tendrement pour elle-même.
Javais traduit certaines de ces nouvelles il y a vingt ans en compagnie de Noëlle Bertin et Jasmine Pipart. Reprenant ces versions anciennes, je tiens à remercier ces deux amies, et leur dire combien le souvenir est vif en moi de ces belles heures passées ensemble au Zatèliland.