Il y a quelques mois, dans un opulent salon de la rue Royale, Furibus et son ami Prudence, riches rentiers, oisifs de naissance, jouaient au tric-trac, leur passe-temps favori. Leur étroite amitié était cimentée par la conformité de fortune, de goûts, d'opinions. Furibus occupait le premier étage d'un immeuble qui lui appartenait. Prudence demeurait au second. Chaque jour, ils se réunissaient pour se distraire de leurs rhumatismes, commenter les Voyons, dit tout à coup Furibus à son ami, marque donc ton jeu. Je ne sais vraiment pas où tu as la tête aujourd'hui. Ah ! oui, c'est vrai, repartit Prudence, qui parut sortir d'un rêve. C'est à toi de jouer, reprit Furibus. C'est à moi ? Eh ! sans doute ! Et Furibus, impatient des distractions de Prudence, secouait avec violence les dés dans le cornet. Mais Prudence, toujours distrait, se mit soudain à jouer dans le jeu de Furibus. Ah ! pour le coup, c'est trop fort ! A quoi, saperlotte penses tu-donc ? Prudence passa la main sur ses yeux comme pour en chasser une vision importune. Peut-être êtes-vous souffrant, monsieur Prudence ? demanda doucement Virginie. Mais non, répondit-il en affectant un air dégagé. Alors, si tu ne souffres pas, reprit vivement Furibus, tu as certainement quelque chagrin, quelque ennui, une préoccupation enfin. Depuis quelque temps, tu changes à vue d'œil. Quand je te parle, c'est à peine si tu réponds. Je t'entends presque toutes les nuits te promener dans ta chambre à grands pas. Corbleu ! si je savais que tu eusses des secrets pour un vieil ami, qui, lui, pense tout haut devant toi ! Je n'ai rien, je t'assure. Voyons, à toi de jouer. Furibus jeta le cornet et les dés avec colère. Non, je ne jouerai pas que tu ne m'aies dit ce qui te trotte par l'esprit. Si Virginie est de trop