Paul Valéry avouait un faible pour La Tentation ; nous reconnaissons après lui que ce livre étrange et unique nous éblouit et nous séduit par l'évocation de tout ce qui nous manque, de tout ce qui peut solliciter ou surexciter nos facultés, nous faire enfin mieux comprendre, non pas seulement le rêve de saint Antoine, mais le rêve absurde, tragique et délicieux de la vie.
Hanté dès 1835 par ce thème que le Caïn de Byron et le Faust de Goethe avaient déjà illustré, Flaubert écrivit trois versions de ce long poème cosmique où l'anachorète de la Thébaïde dialogue avec des apparitions successives. Antoine, évoquant les souvenirs trop vivaces de son passé, connaît à nouveau les tentations démoniaques : des visions de luxure, les séductions du pouvoir ou de la volupté le sollicitent ; plus troublante encore est l'apparition de son disciple, Hilarion, qui lui présente « tous les dieux, tous les rites, toutes les prières, tous les oracles », soulignant les contradictions des Écritures. Et quand, sous le nom de Sciences, le démon dévoile à Antoine les secrets de l'univers, l'anachorète aspire un moment à se fondre dans la matière dont il aperçoit l'extraordinaire foisonnement ; mais, dans le disque du soleil qui se lève, resplendit le visage du Christ. Alliance originale de l'évocation du monde gréco-latin du IVe siècle et de l'énoncé des théories modernes, cette œuvre symbolique contient des tableaux d'une grande beauté plastique.