Le Boomerang P. Olendorff, Paris, 1912 Alphonse Allais (18541905)
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Alphonse Allais, né le 20 octobre 1854 à Honfleur2 et mort le 28 octobre 1905 à Paris est un journaliste, écrivain et humoriste français.
Célèbre à la Belle Époque, reconnu pour sa plume acerbe et son humour absurde, il est notamment renommé pour ses calembours et ses vers holorimes. Il est parfois considéré comme l'un des plus grands conteurs de langue française. (wikipédia)
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extrait:
CHAPITRE PREMIER. Dans lequel on va voir, attristant spectacle, et sans qu'on aperçoive bien les causes réelles et suffisantes d'un tel désespoir, le jeune porteur d'un des plus vieux noms de France tenter de mettre fin à son existence individuelle et, du même coup, à sa race glorieuse, dernier descendant mâle qu'il est d'une de ces lignées dont on pouvait dire sans crainte de s'entendre taxer d'exagération, qu'on ne voyait qu'elle aux Croisades.
Guillaume de la Renforcerie se sentait triste et même incompris, ah ! combien triste et incompris, oh que ! depuis l'instant où Marie-Blanche, la jolie Marie-Blanche Loison, l'avait brusquement quitté par un froid matin de mai.
Le mois de mai avait froid aux pieds, cette année-là, détail météorologique qui n'empêcha point Marie-Blanche Loison de courir à d'autres amours.
Avec qui ?
Pourquoi ?
Comment ?
Ces questions qui font partie de l'ancien droit romain Quid ? Ubi ? Cur ? Quomodo ? Quando ? se posaient à la cervelle de Guillaume, une cervelle de dernier ordre assurément, puisqu'elle ne parvenait pas à résoudre ce problème.
Mais, en cette cervelle d'avant-dernier ordre, car on ne sait jamais, avec ces diables de cervelles, si elles sont réellement au-dessous de tout, à cause des parois crâniennes qui les protègent contre les avides et pénibles investigations des psychologues et des physiologistes, en cette cervelle, dans tous les cas, de sous-ordre, après la fugue de Marie-Blanche, de la jolie Marie-Blanche Loison, germa Dieu sait quel projet fatal !
La solution, et c'est bien d'une solution réellement chimique [1] qu'il s'agit, fut, pour notre ami Guillaume, de se dissoudre dans le Grand-Tout.
Manière élégamment scientifique de vous dire que notre ami Guillaume, de la Renforcerie résolut de mettre fin à ses jours et surtout à ses nuits, que tourmentait, âpre et lancinant, le souvenir de la Chère et de la Chair disparues.
En d'autres termes, comme disent les concierges trimestriellement, il songea à résilier le bail trois, six, neuf renouvelable que la Nature lui avait signé avec l'Existence.
Ne me poussez pas trop, car je me sens prêt à vous établir que l'existence est bel et bien la pipelette de la Nature, notre archigrande propriote.
Vous ne me poussez pas dans cette voie éminemment philosopharde ?
Non.
Alors je continue, en vous disant tout bêtement que cet imbécile, pour une Marie-Blanche disparue, se décidait à perdre la vie.
Le suicide ! Brrr !
L'Amour, ce roi des dieux et des hommes, qui a la prétention de fabriquer la Vie, se termine souvent par la destruction de cette même vie.
L'Amour ! Encore un gaillard, grognez-vous, qui manque étrangement de logique : on vous en fichera de la logique !
Tout ça, d'ailleurs, n'est pas de votre compétence.
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Oui, mais quel genre de suicide ?
Guillaume de la Renforcerie, inventoriait son porte-monnaie plat, afin d'y trouver le prix d'un revolver.
C'est hors de prix, les revolvers : il y en a, parbleu ! de pas trop chers, mais ils ratent.
L'exigu porte-monnaie du désespéré ne contenait pas la somme indispensable à l'achat de divers instruments : fusil, espingole, yatagan, cimeterre, stylet ou navaja, capables de déterminer en lui le traumatisme fatal.
Même pas le prix d'un boisseau de charbon, ni celui d'une corde, d'une corde, bien entend