Le Captain Cap,Juven, 1902 d' Alphonse Allais (18541905)
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Alphonse Allais, né le 20 octobre 1854 à Honfleur2 et mort le 28 octobre 1905 à Paris est un journaliste, écrivain et humoriste français.
Célèbre à la Belle Époque, reconnu pour sa plume acerbe et son humour absurde, il est notamment renommé pour ses calembours et ses vers holorimes. Il est parfois considéré comme l'un des plus grands conteurs de langue française. (wikipédia)
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extrait:
UN MOT SUR LE CAPTAIN CAP
Celui qui voudrait rencontrer l'homme du jour, n'aurait pas à le chercher ailleurs que dans la peau du Captain Cap, votre candidat.
Le Captain Cap ! Tout le monde en parle aujourd'hui, mais combien peu le connaissent !
J'ai l'honneur d'appartenir à cette petite élite.
La première fois que j'eus le plaisir de rencontrer Cap, c'était au bar de l'hôtel Saint-Pétersbourg ; la seconde fois à l'Irish bar de la rue Royale ; la troisième, au Silver-Grill ; la quatrième, au Scotch Tavern de la rue d'Astorg ; la cinquième, à l'Australian Wine Store de l'avenue d'Eylau[2].
Peut-être intervertis-je l'ordre des bars, mais, comme on dit en arithmétique, le produit n'en demeure pas moins le même.
Tout de suite, Cap me plut. Le récit de ses aventures, les petits refrains exotiques qu'il se plaît à fredonner entre temps, ses aperçus toujours neufs, sa haine de la Bureaucratie et de l'Europe, tout en Cap me charma et nous fûmes vite d'excellents amis.
Il n'y a qu'à gagner à la fréquentation de tels hommes, et les notions que j'ai acquises depuis ma liaison avec Cap, tiennent presque du prodige.
Le Captain Cap a énormément voyagé. Quand il dit :
J'ai passé les trois quarts de ma vie sur mer et les deux tiers de mon existence dans les terres vierges, etc., etc..
Il ne faut voir dans cette assertion aucune exagération, aucun bluffage.
À Québec, Cap remplit pendant dix-huit mois les importantes fonctions de starter à l'Observatoire.
C'est lui qui donnait le départ aux étoiles filantes.
Au Labrador, Cap découvrit les importantes mines de charcuterie (meat-land) qui sont actuellement la fortune de ce pays.
J'ai donné dans plusieurs journaux, voilà tantôt un an, l'explication absolument plausible de l'existence de ces carrières nutritives. J'ai attendu des démentis ; ils ne sont pas venus[3].
Notre ami Cap est donc candidat à la députation. Je connais la deuxième circonscription du neuvième arrondissement, et je suis tranquille.
Que Cap passe au premier tour de scrutin, je n'oserais l'affirmer ; mais le ballottage pourrait bien réserver d'amères désillusions à MM. Strauss et Berger[4].
Le programme de Cap est bien simple et se passe d'explications : Cap est anti-européen et anti-bureaucrate.
En dehors de ces deux grandes lignes, toutes les revendications des électeurs sont les revendications de Cap.
Dans la dernière réunion électorale, qui s'est tenue à l'Auberge du Clou, quelqu'un a demandé le nivellement de la Butte Montmartre ; Cap s'est engagé à faire niveler la Butte Montmartre.
Cap s'est également engagé à prolonger l'avenue Trudaine jusqu'à la place de la Concorde.
Par quel bout ? s'informèrent quelques électeurs.
Par les deux bouts, répondit le Captain.
Un artiste dramatique interrogeant le Captain sur la question du blanc gras, dont le prix, paraît-il, est fort élevé, Cap s'est engagé à détaxer le blanc gras venant d'Allemagne et même à provoquer en France la création d'une fabrique nationale de ce produit sur le modèle des usines d'État de Sèvres et des Gobelins.
Cette question du blanc gras n'était pas pour laisser le Captain Cap indifférent, car il s'est beaucoup occupé, lui-même, et s'occupe encore de théâtre.
Dernièrement, il a créé un rôle important dans une pièce que donnait la Société le Gardénia, et le père Sarcey n'hésita pas à lui consacrer un article fort élogi