A part la figure de la Liberté et quelques statues allégoriques improvisées pour la fête de la Concorde, la République n'a encore commandé qu'un seul travail d'art, les peintures murales du Panthéon. L'homme choisi pour exécuter cette œuvre immense porte un nom peu connu, mais qui le sera bientôt. Il s'appelle Chenavard. On a paru étonné que ce gigantesque labeur ait été confié à un artiste obscur, dans un pays et à une époque où l'on compte tant de maîtres d'un talent et d'une célébrité incontestables. Le mérite d'un gouvernement est de deviner les hommes et de fournir au génie les occasions de se développer. Il n'eût pas fallu une grande hardiesse d'initiative pour prendre MM. Ingres, Delaroche et autres, qui ont fait leurs preuves : on pouvait ainsi prévoir d'avance les résultats ; mais une originalité nouvelle ne se fût pas produite, et un splendide horizon de l'art serait resté voilé à tout jamais.
Abstraction faite de quelques essais tous récents, la peinture murale n'a guère été pratiquée en France depuis plus d'un siècle ; le plafond d'Hercule de Lemoine et les décorations de Versailles sont les derniers travaux de ce genre. A dater de là l'on n'a peint que des tableaux de chevalet d'une dimension plus ou moins restreinte dont l'exécution est et devait être le principal mérite. La touche du maître en fait la plus grande valeur, et l'idée d'une vaste composition rendue par des mains étrangères choque nos préjugés d'individualisme. Accoutumés que nous sommes à estimer avant tout le faire de l'artiste, nous n'apprécions pas autant sa pensée. Il nous faut pour ainsi dire dans chaque coup de brosse le paraphe de sa signature.
La peinture murale veut d'autres habitudes et des façons différentes : avec elle tous les petits mérites de clair-obscur, de transparence et de touche disparaissent ; une belle ordonnance, un grand style, une couleur simple et mate, voilà ce qu'elle exige ; et sans vouloir diminuer en rien le talent des maîtres contemporains que nous avons loués mainte et mainte fois avec la plus chaleureuse conviction, l'on peut dire qu'ils se sont en général très-peu préoccupés de la composition dans le sens philosophique du mot, et cela n'est pas une faute, car l'occasion de recouvrir un édifice de peintures, si fréquente dans la vie des maîtres italiens, ne se présente presque jamais aux artistes de notre siècle moins favorisé : resserrés entre les ais dorés d'un cadre, ils cherchent à briller par les qualités matérielles, et s'inquiètent moins du côté spiritualiste de l'œuvre.