Balthazar, le cheval de madame François, une bête trop grasse, tenait
la tête de la file. Il marchait, dormant à demi, dodelinant des oreilles,
lorsque, à la hauteur de la rue de Longchamp, un sursaut de peur le planta
net sur ses quatre pieds. Les autres bêtes vinrent donner de la tête contre
le cul des voitures, et la file s'arrêta, avec la secousse des ferrailles, au
milieu des jurements des charretiers réveillés. Madame François, adossée
à une planche?e contre ses légumes, regardait, ne voyait rien, dans la
maigre lueur jetée à gauche par la petite lanterne carrée, qui n'éclairait
guère qu'un des flancs luisants de Balthazar.
? Eh ! la mère, avançons ! cria un des hommes, qui s'était mis à genoux
sur ses navets C'est quelque cochon d'ivrogne.
Elle s'était penchée, elle avait aperçu, à droite, presque sous les pieds
du cheval, une masse noire qui barrait la route.
? On n'écrase pas le monde, dit-elle, en sautant à terre.
C'était un homme vautré tout de son long, les bras étendus, tombé la
face dans la poussière. Il paraissait d'une longueur extraordinaire, maigre
comme une branche sèche ; le miracle était que Balthazar ne l'eût pas
cassé en deux d'un coup de sabot. Madame François le crut mort ; elle
s'accroupit devant lui, lui prit une main, et vit qu'elle était chaude.
? Eh ! l'homme ! dit-elle doucement...