Ce jour-là, le père Orifice, concierge de la maison n° 47 du boulevard Saint-Michel, à Paris, était dans tous ses états. Il avait passé une nuit déplorable.
Il racontait ses malheurs à la dame qui tient le kiosque à journaux en face de chez lui.
Tout ça, s'écriait-il, c'est la faute au printemps, à la race canine et à ces gredins d'étudiants !
Pauvre monsieur Orifice ! répondait la dame du kiosque, compatissante ; et ce vacarme a duré ?
Une bonne heure, chère madame, une bonne heure Je dormais comme un bienheureux ; Agathe ronflait Tout à coup on sonne Je me réveille en cerceau Je frotte mes yeux « Tiens ! que je me dis, mais il me semblait que tous les locataires étaient rentrés » Enfin, tout de même, je tire le cordon La porte s'ouvre, reste ouverte un grand moment, puis se referme avec fracas il était sur les deux heures du matin Une minute se passe dans le silence Puis, voilà des z'hurlements qui remplissent la cour Je réveille Agathe « Entends-tu ces z'hurlements ? que je lui fais. Ah ! mon Dieu ! qu'elle me répond épouvantée, c'est le jugement dernier » Le fait est que ce n'était pas rassurant du tout Je me lève cependant en chemise, comme bien vous pensez et je mets le nez à la fenêtre.
Monsieur Orifice, vous me donnez le frisson.
Il y avait de quoi, chère madame La cour était pleine d'un tas d'ombres qui s'agitaient par terre Et ça grouillait, et ça z'hurlait, qu'on aurait dit des âmes du purgatoire en train de demander grâce au Père Éternel Puis, voilà que les z'hurlements se changent en aboiements lamentables « C'est des chiens ! que me fait Agathe. Poltron ! est-ce que tu as peur de quelques chiens ? Par où donc qu'ils sont entrés ? » Pour lors, je prends ma canne je sors toujours en chemise et je tape dans le tas Ah bien oui ! il y en a un gros qui me saute après et me mord le gras du mollet Impossible de me débarrasser de tous ces animaux-là Je crie : au secours ! La maison se réveille On me jette des seaux d'eau sur la tête, sous prétesque de calmer les chiens, qui z'hurlaient de plus fort en plus fort Enfin, Agathe, qui avait pris le temps de passer une jupe, se glisse le long des murs jusqu'à la porte d'entrée, l'ouvre toute grande, et cette émeute enragée se décide à sortir de chez nous
C'était encore une farce de ces maudits étudiants
Comme vous le dites, chère madame À la poignée de la sonnette, il y avait une lettre pendue.
Vous l'avez lue, cette lettre ?
Agathe s'en empara et la rapporta dans la loge Nous allumons la bougie, pendant que les locataires se recouchent en nous injuriant et alors nous lisons cette lettre infernale Voici ce qu'elle disait : « Recette pour amuser un portier : Prendre à minuit sur le pavé une chienne errante, après s'être assuré qu'elle est sous l'influence des ardeurs du printemps ; la promener en la tenant en laisse pendant deux heures, dans la rue Mouffetard ou toute autre rue fréquentée par l'espèce canine ; une fois que la demoiselle a récolté à sa suite une trentaine de galants, faire ouvrir la première porte venue et introduire la meute dans la cour ; refermer la porte et laisser le portier se distraire en compagnie de ces camarades inattendus. »
C'est abominable, monsieur Orifice !
D'autant plus abominable que cela était signé : Sapeck Sapeck, chère madame, un scélérat qui est le fléau du quartier latin
Ne m'en parlez pas Il m'en a déjà fait voir de toutes les couleurs
Oh ! si jamais je le tiens seul à seul, dans un coin, il apprendra ce qu'il en coûte de troubler ainsi la nuit paisible d'un concierge comme moi.
Et vous ferez bien ! Cet être-là est un monstre !
Pis que cela, chère madame, c'est un journalisse.
Et là-dessus, le père Orifice réintégra son domicile en jurant comme un charretier.
De fait, le concierge du 47 n'avait pas tort d'être en fureur. La farce du mauvai