Extrait: Dans la rue des Archives, à l'entrée d'une petite allée noire, je vis sur la muraille ces mots écrits, en couleur jaune, par un peintre en lettres d'une habileté initiale : Chanderlos, fabricant de poupées, au troisième étage. Pensant que je trouverais là, à bon compte, ce que je cherchais, je montai donc à ce troisième étage, qui n'était guère plus haut qu'un premier. Je tournai le loquet, et je vis devant moi une enfilade de toutes petites pièces, si basses que, selon le célèbre mot de Cham, on n'y aurait pu manger autre chose que des soles. Des esquisses d'argile ou de cire récemment pétries, des pots de couleur, des cartonnages, des figurines encore humides et qui séchaient, des satins, des ors, des peluches, de tout petits souliers, de toutes petites ombelles, voilà ce que je vis sous les plafonds sales, où les lampes et les chandelles avaient dessiné des arabesques. Au milieu de tout cela, chevelu, ravagé, pareil à un homme de mil huit cent trente, qu'il est, Chanderlos se promenait, prenant tantôt la brosse, tantôt l'ébauchoir, d'autres fois le marteau et les petites pointes, et s'occupant à la fois des besognes les plus diverses, car il n'a pas d'ouvriers et fait tout lui seul.
Près d'une fenêtre donnant sur la cour obscure, assise sur une chaise de paille, la fille de Chanderlos, mademoiselle Barbe (j'ai su plus tard son nom) taillait, cousait les étoffes splendides, dans ses petits doigts transparents et frêles, et habillait une poupée, tandis que d'autres, couchées près d'elle sur un tabouret, attendaient leur tour. Toute mince et pâle, semblable à une fleur éclose dans une cave, toute jolie avec ses petits traits, ses yeux d'un bleu triste et ses cheveux châtains, plus légers qu'un souffle, lissés en bandeaux, mademoiselle Barbe avait l'attitude résignée et pensive des êtres qui ne doivent jamais voir le soleil...