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Extrait :
Il est impossible de lire Horace sans désirer connaître cette maison de campagne où il a été si heureux. Peut-on savoir exactement où elle était ? Est-il possible de retrouver, non pas les pierres même de sa villa, que le temps a sans doute dispersées, mais le site charmant qu'il a tant de fois décrit, ces hautes montagnes « qui abritaient ses chèvres des feux de l'été, » cette fontaine près de laquelle il allait s'étendre aux heures chaudes du jour, ces bois, ces ruisseaux, ces vallées, cette nature enfin qu'il a eue sous les yeux pendant la plus longue et la meilleure partie de sa vie ? C'est une question qu'on se pose depuis la renaissance, et l'on en a d'assez bonne heure entrevu la solution. Vers la fin du xvie siècle, quelques érudits, qui s'étaient mis en quête de la maison d'Horace, soupçonnèrent l'endroit où il fallait la chercher ; mais, comme leurs indications étaient vagues et qu'elles ne s'appuyaient pas toujours sur des preuves bien solides, ils ne parvinrent pas à convaincre tout le monde. Du reste, il ne manquait pas de gens qui ne voulaient pas être convaincus. Dans tous les coins de la Sabine, des savans de village réclamaient avec acharnement pour leur pays l'honneur d'avoir donné l'hospitalité à Horace et n'entendaient pas qu'il en fût dépossédé. C'est ainsi qu'on mettait sa maison de campagne à Tibur, à Cures, à Réate, un peu partout, excepté où elle devait être.
Le problème a été définitivement résolu, dans la seconde moitié du dernier siècle, par un Français, l'abbé Cap martin de Chaupy. C'était un de ces amoureux de Rome qui vont pour y passer quelques mois et y restent toute leur vie. Quand il se fut décidé à retrouver la maison d'Horace, il n'épargna pas sa peine[1] ; il parcourut presque toute l'Italie, étudiant les monumens, lisant les inscriptions, faisant parler les gens du pays, cherchant de ses yeux quels sites répondaient le mieux aux descriptions du poète. Il voyageait à petites journées sur un cheval qui, s'il faut l'en croire, était devenu presque antiquaire à force d'être conduit aux antiquités. Cet animal, nous dit-il, allait de lui-même aux ruines sans avoir besoin d'être averti, et sa fatigue semblait cesser quand il se trouvait sur le pavé de quelque voie antique. Du récit de ses courses, des résultats où ses travaux obstinés l'avaient conduit, Cap martin de Chaupy a composé trois gros volumes de près de cinq cents pages chacun. C'est beaucoup plus que ne comportait la question ; aussi ne s'est-il pas imposé la loi de s'enfermer dans le sujet qu'il traite. La maison de campagne d'Horace n'est pour lui qu'un prétexte qui lui donne l'occasion de parler de tout. Il a écrit comme il voyageait, s'arrêtant à chaque pas et quittant à tout moment la grand'route pour s'enfoncer dans les chemins de traverse. Il ne nous fait grâce de rien ; il éclaire en passant des points obscurs de géographie et d'histoire, relève des inscriptions, retrouve des villes perdues, détermine la direction des anciennes voies. Cette façon de procéder, qui était alors fort à la mode parmi les érudits, eut pour Chaupy un très grave inconvénient. Pendant qu'il s'attardait ainsi en chemin, on faillit lui enlever l'honneur de sa découverte. Un savant de Rome, de Sanctis, qui avait entendu parler de ses travaux, se mit sur la même piste, et, le gagnant de vitesse, ce qui n'était pas difficile, publia sur cette question une petite dissertation que le public accueillit favorablement. Ce fut un grand chagrin pour le pauvre abbé, qui s'en plaignit avec amertume. Heureusement ses trois volumes, qui furent bientôt en état de paraître, mirent l'opinion de son côté, et aujourd'hui on ne lui conteste guère la gloire, dont il était si fier, d'avoir découvert la maison de campagne d'Horace.