Hôte, pardonnez-nous une petite lourdeur d'après-dîner. Que voudriez-vous faire ? Allons-nous sortir le grison et retourner à Hammersmith ? ou voulez-vous venir avec nous entendre chanter des Gallois dans une salle tout près d'ici ? ou bien voulez-vous venir tout de suite avec moi dans la Cité pour voir quelques constructions vraiment belles ? ou quoi encore ?
Mais, dis-je, comme je suis étranger, je vous laisserai choisir pour moi.
En réalité, je n'avais aucun besoin d'être « amusé » à ce moment ; et d'ailleurs j'avais comme un sentiment que le vieillard, avec sa connaissance des temps anciens, et même une sorte de sympathie à rebours pour eux, causée par son effective haine, m'était pour ainsi dire une couverture contre le froid de ce monde si nouveau où j'étais, en quelque sorte, déshabillé de toute pensée et de tout mode d'action coutumiers, et je désirais ne pas le quitter trop tôt. Il vint aussitôt à mon secours :
Attendez un peu, Dick ; il y a encore quelqu'un à consulter, après vous et l'hôte que voici, et c'est moi. Je ne vais pas perdre tout de suite le plaisir de sa compagnie, surtout lorsque je sais qu'il a quelque chose de plus à me demander. Allez donc rejoindre vos Gallois, c'est très bien ; mais avant tout apportez-nous une autre bouteille de vin dans notre coin, et puis filez tant que vous voudrez, et revenez chercher notre ami pour aller vers l'ouest, mais pas trop tôt.
Dick acquiesça en souriant, et le vieillard et moi restâmes bientôt seuls dans la grande salle, le soleil de d'après-midi luisant sur le vin rouge dans nos grands verres aux formes gracieuses. Hammond dit :
Y a-t-il quelque chose qui vous intrigue particulièrement dans notre manière de vivre, maintenant que vous en avez entendu raconter assez et que vous en avez vu un peu ?
Je crois que ce qui m'intrigue le plus est de savoir comment tout cela s'est produit.
Cela se conçoit ; le changement est si grand. Il serait difficile de vous raconter toute l'histoire, peut-être impossible : savoir, mécontentement, traîtrise, désappointement, ruine, misère, désespoir, ceux qui ont travaillé au changement, parce qu'ils savaient voir plus loin que les autres, ont traversé toutes ces phases de souffrance ; et il n'y a pas de doute que tout le temps la plupart des hommes ont assisté, sans comprendre ce qui se passait, trouvant tout cela très naturel, comme le lever et le coucher du soleil ; et ce l'était bien aussi.
Dites-moi une chose, si vous le pouvez. Le changement, la « révolution », comme on l'appelait, s'est-il produit pacifiquement ?
Pacifiquement ? Quelle paix y avait-il parmi la masse confuse de ces pauvres malheureux du dix-neuvième siècle ? C'était la guerre d'un bout à l'autre : guerre âpre, jusqu'au moment où l'espoir et la joie y mirent fin.
Voulez-vous dire des combats effectifs avec des armes, ou bien des grèves et des lockouts, et la famine dont nous avons entendu parler ?
Les deux, les deux. En somme, l'histoire de la terrible période de transition entre l'esclavage commercial et la liberté peut être résumée ainsi. Lorsque surgit l'espoir de réaliser pour tous les hommes une condition de vie communiste, le pouvoir des classes moyennes, qui dominaient alors la société, était si énorme et écrasant que presque à tous cela paraissait un rêve, : même à ceux qui avaient, pour ainsi dire malgré eux en dépit de leur raison et de leur jugement, conçu ces espérances. Ceci était d'autant plus vrai que plusieurs de ces hommes, plus éclairés, que l'on appelait alors socialistes, quoiqu'ils sussent bien, et même affirmassent publiquement, que la seule condition sociale raisonnable est le communisme pur, tel que vous le voyez maintenant autour de vous, reculaient cependant devant ce qui leur paraissait la tâche stérile de prêcher la réalisation d'un heureux rêve. En regar