BOILEAU, PIERRE CORNEILLE, LA FONTAINE, RACINE, JEAN-BAPT. ROUSSEAU, LE BRUN, MATHURIN REGNIER, ANDRÉ CHÉNIER, GEORGE FARCY, DIDEROT, L'ABBÉ PRÉVOST, M. ANDRIEUX, M. JOUFFROY, M.AMPÈRE, BAYLE, LA BRUYERE
«Chaque publication de ces volumes de critique est une manière pour moi de liquider en quelque sorte le passé, de mettre ordre à mes affaires littéraires.» C'est ce que je disais dans une dernière édition de ces portraits, et j'ai tâché de m'en souvenir ici. Bien que ce ne soit qu'une édition nouvelle à laquelle un choix sévère a présidé, j'ai fait en sorte qu'elle parût à certains égards véritablement augmentée. En parlant ainsi, j'entends bien n'en pas séparer le volume intitulé : Portraits de Femmes, qu'on a jugé plus commode d'isoler et d'assortir en une même suite, mais qui fait partie intégrante de ce que j'appelle ma présente liquidation. Les portraits des morts seuls ont trouvé place dans ces volumes ; ç'a été un moyen de rendre la ressemblance de plus en plus fidèle. J'ai ajouté çà et là bien des petites notes et corrigé quelques erreurs. C'est à quoi les réimpressions surtout sont bonnes ; les auteurs en devraient mieux profiter qu'ils ne font. L'histoire littéraire prête tant aux inadvertances par les particularités dont elle abonde ! Le docteur Boileau, frère du satirique, a écrit en latin un petit traité sur les bévues des auteurs illustres ; et, en les relevant, on assure qu'il en a commis à son tour. J'ai fait de plus en plus mon possible pour éviter de trop grossir cette liste fatale, où les grands noms qui y figurent ne peuvent servir d'excuse qu'à eux-mêmes.
«L'histoire littéraire est une mer sans rivage,» avait coutume de dire M. Daunou, qui en parlait en vieux nocher ; elle a par conséquent ses écueils, ses ennuis. Mais il faut vite ajouter qu'au milieu même des soins infinis et minutieux qu'elle suppose, elle porte avec elle sa douceur et sa récompense.
Tome II
MOLIÈRE, DELILLE, BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, LE GÉNÉRAL LA FAYETTE, FONTANES, JOUBERT, LÉONARD, ALOÏSIUS BERTRAND, LE COMTE DE SÉGUR, JOSEPH DE MAISTRE, GABRIEL NAUDÉ
MOLIÈRE
Il y a en poésie, en littérature, une classe d'hommes hors de ligne, même entre les premiers, très-peu nombreuse, cinq ou six en tout, peut-être, depuis le commencement, et dont le caractère est l'universalité, l'humanité éternelle intimement mêlée à la peinture des moeurs ou des passions d'une époque.
Génies faciles, forts et féconds, leurs principaux traits sont dans ce mélange de fertilité, de fermeté et de franchise ; c'est la science et la richesse du fonds, une vraie indifférence sur l'emploi des moyens et des genres convenus, tout cadre, tout point de départ leur étant bon pour entrer en matière ; c'est une production active, multipliée à travers les obstacles, et la plénitude de l'art fréquemment obtenue sans les appareils trop lents et les artifices. Dans le passé grec, après la grande figure d'Homère, qui ouvre glorieusement cette famille et qui nous donne le génie primitif de la plus belle portion de l'humanité, on est embarrassé de savoir qui y rattacher encore. Sophocle, tout fécond qu'il semble avoir été, tout humain qu'il se montra dans l'expression harmonieuse des sentiments et des douleurs, Sophocle demeure si parfait de contours, si sacré, pour ainsi dire, de forme et d'attitude, qu'on ne peut guère le déplacer en idée de son piédestal purement grec. Les fameux comiques nous manquent, et l'on n'a que le nom de Ménandre, qui fut peut-être le plus parfait dans la famille des génies dont nous parlons ; car chez Aristophane la fantaisie merveilleuse, si athénienne, si charmante, nuit pourtant à l'universalité. A Rome je ne vois à y ranger que Plaute, Plaute mal apprécié encore [M. Naudet, dans ses travaux sur Plaute, et M. Patin, dans un excellent cours aussi attique de pensée que de diction, remettent à sa place ce