L'étude de l'homme est la plus noble après celle de Dieu. Dieu ne peut être étudié que d'après les révélations qu'il a daigné nous faire ; de sorte que le champ ouvert aux investigations qui Le regardent se trouve circonscrit par des bornes infranchissables. L'homme, au contraire, disons mieux, le genre humain, profitant du double cadeau divin de la conscience et de la raison, peut étendre indéfiniment le cercle des recherches qu'il entreprend sur lui-même, gratifié, en conséquence, de l'admirable faculté de s'avancer incessamment vers la perfection.
Etudier l'humanité dans le temps et dans l'espace c'est interroger l'histoire, qui nous présente l'homme dans tous les siècles et dans tous les lieux : interroger l'histoire pour y suivre les progrès de l'humanité, c'est la soumettre à un procédé que j'aimerais pouvoir appeler de tamisage ou de délibation. Appelons pensée cette fleur du passé, et historien de la pensée celui qui préfère la recherche des causes à l'investigation des effets ; celui qui scrute les décrets de la Providence dans les développements des faits ; celui qui tire entre les événements majeurs une espèce d'écliptique morale marquant l'orbite parcourue par la civilisation ; et nous n'hésiterons pas à affirmer que l'historien de cette pensée aura entrepris l'étude la plus élevée qu'il soit donné à l'homme de choisir.
C'est précisément cette mission que je me suis proposée ; c'est de mon Histoire de la Pensée dans les temps modernes que je me propose de rendre compte. Si mon œuvre n'en valait pas la peine, la tentative la vaudrait : il y a des conceptions qui ne demandent que d'être annoncées pour qu'on les accepte : jetez-les dans la circulation, et leur fécondation est immanquable.
L'histoire, compulsée de la sorte, présente dans les domaines arides du positif la tentative d'une invasion philosophique et religieuse : c'est proclamer, au milieu d'une société blasée de scepticisme, ce règne toujours debout, quoique souvent voilé, de la Providence, que Salvien annonça quand l'empire romain s'écroulait, et que Bossuet a célébré dans son immortel Discours.
Ce point de vue, appliqué à l'histoire, sert admirablement à élever les âmes à Dieu, tout en profitant aux faits pour les éclairer et les classer. Un fait, quelque important qu'il soit, qu'est-il en soi-même ? une colonne isolée ; une multitude de faits qui se suivent fournissant l'étoffe à un récit fataliste, à quoi ressemblent-ils ? à ces ruines de temples pestans, palmyriens, dont les entablements, les architraves sont tombés, et qui élèvent dans le désert les longues lignes de leurs fûts dévastés : rappelez la Divinité dans ces mornes sanctuaires, vous les aurez restitués à la vie, à la beauté. L'histoire sans Dieu est une chronique de désespoir, une éphéméride de calamités : animée, régie par le souffle providentiel, ses annales se