UN billet attendait le jeune homme, le lendemain matin, au bureau. Il était ainsi conçu : « Mon cher Authier. Voulez-vous me remplacer durant une heure ? Le premier ministre me fait appeler d'urgence ». Amable Berthelot.
Le jeune homme sourit. L'expression « Mon cher Authier » dépeignait bien la noblesse de cœur de son patron, qui le traitait sans cesse en associé ou en ami. Il est vrai que Michel, tout en se montrant obligeant, s'assimilait rapide-ment cette jurisprudence canadienne, qui intéressait son esprit, en atteignant les fibres secrètes de son cœur. Il savait que les luttes constitutionnelles s'engageaient de plus belle autour des droits de ses compatriotes de langue française. Il continuait d'assister aux séances du parlement où combattait La Fontaine. Aux efforts pacifiques d'aujourd'hui, il rapprochait les actes d'héroïsme d'hier, celle d'il y avait dix ans à peine. Il se félicitait d'être bientôt en état de se joindre à tous ces hommes vaillants, qui ne savaient reculer ni de-vant la force, ni devant les puissances d'argent, et encore moins devant des menées haineuses, hypocrites ou perfides. La décision de Michel, en choisissant la carrière d'avocat, plutôt que celle de médecin qu'il préférait, avait eu pour motif ce désir de défendre à son tour la liberté politique de ceux de sa race. Sur-tout, il serait là, à servir à la place de tous ces disparus, qui avaient versé, eux, non des flots d'éloquence, mais leur sang, qui avaient sacrifié sans hésiter tout ce qu'un cœur jeune, noble et enthousiaste peut attendre de la vie. « Hélas ! pensait Michel, qui revenait sans cesse à ses souvenirs, jamais plus le chevale-resque Olivier Précourt ne monterait à la tribune ; jamais plus sa voix chaude, persuasive, si facilement ironique, ne soutiendrait la cause de quelque malheu-reux ou de ce grand malheureux qu'était le Canada français. Eh bien ! il fallait essayer d'être une voix à son tour, une voix qui réclamait, qui exigeait la recon-naissance de droits encore outragés. »
Michel se sentait distrait, en ce matin pluvieux de juin, qui succédait au so-leil éclatant de la veille. Il revivait les scènes de la cérémonie, à Notre-Dame. Ce Jules Paulet lui plaisait de moins en moins, à bien y penser. Il avait quelque chose de dur, d'hostile dans l'expression. Devinait-il qui il était ? Michel soupira en voyant se lever à ses côtés la douce figure de Josephte Précourt. Elle méritait certes mieux que ce mondain aux manières aristocratiques, mais aux senti-ments vulgaires. Sa sœur semblait charmante différente, en tout cas, de celle qu'il avait aperçue dans le jardin des Précourt, et qui répondait au nom d'Hélène.
Un geste d'impatience échappa au jeune homme. Il repoussa le code qu'il étudiait et prit la Minerve. Mais il rejeta bientôt le journal, vieux d'une semaine. Il regarda pensivement vers la fenêtre. Les passants étaient rares dans la rue Craig, toute ruisselante sous la pluie. Soudain, le jeune homme eut un recul. Du côté de la rue Saint-Dominique, une voiture privée venait à toutes allures et s'arrêtait bientôt à la porte du bureau. Un jeune homme en descendit, puis il tendit la main à une dame, à l'intérieur de la voiture. Elle en sortit vivement en s'abritant sous un parapluie. À sa stupéfaction, Michel reconnut en eux Jules Paulet, son agresseur de la veille, et sa sœur, la blonde et compatissante jeune fille qui lui avait parlé gentiment pour diminuer les torts de son frère. On sonna. Michel dut aller ouvrir.
Monsieur Berthelot est ici ? demanda le jeune visiteur, en regardant d'un air abasourdi celui qui venait lui répondre. Lui aussi semblait très étonné de rencontrer Michel. Mais ajoutait le jeune Paulet aussitôt, peut-être fais-je erreur ? Cette étude
C'est bien ici, en effet, le cabinet de l'avocat Berthelot, répondit Michel. Entrez, si vous voulez le consulter. Il sera ici à l'instant.