ARRIVES près du cap Bille, situé au nord du glacier de Puisortok, nous entendons du côté de terre un brouhaha de voix humaines et d'aboiements. Faisant immédiatement route dans la direction d'où vient ce bruit, nous apercevons bientôt plusieurs points noirs en mouvement. En les examinant attentivement, nous reconnaissons des hommes disséminés sur la rive. Tous crient et agitent les bras. Plus haut, sur les roches, apparaissent des tentes en peau, et, en approchant, il nous arrive une odeur d'huile très caractéristique. Balto décrit cet incident en ces termes dans sa relation de voyage : « Après avoir dormi, nous continuons notre route vers le nord. Sur ces entrefaites, nous sentons une puanteur de lard de phoque, et quelque temps après apercevons des indigènes et des tentes. »
Nous ne savons pas résister à la tentation de rendre visite à ces naturels. Au moment où ils voient que nous nous dirigeons de leur côté, le bruit redouble et tous gesticulent de plus belle. Les uns dégringolent vers la rive, tandis que d'autres grimpent sur les rochers pour pouvoir mieux voir. Sommes-nous arrêtés par un gros glaçon et prenons-nous les gaffes pour nous frayer un passage, le tumulte devient assourdissant, ce sont des hurlements frénétiques. Quand nous approchons du rivage, plusieurs indigènes viennent en kayaks à notre rencontre. Parmi eux se trouve un des Eskimos rencontrés
ESKIMO DU CAP BILLE.le matin. Ils sont tout heureux de nous voir. Pour nous souhaiter la bienvenue, ils nous sourient et font manœuvrer leurs embarcations autour de nous. Ils nous indiquent la route, que, du reste, nous trouvons facilement, et manifestent leur étonnement de voir nos solides canots briser des morceaux de glace qui perceraient leurs kayaks. Le dernier glaçon dépassé, une scène absolument extraordinaire s'offre à nos yeux dans la demi-obscurité du soir. Sur les rochers se pressent de longues files d'hommes, de femmes et d'enfants à la mine sauvage, tous aussi peu vêtus les uns que les autres. Tout ce monde gesticule et pousse le grognement sourd que nous avons entendu ce malin. Il semble que nous ayons à nos trousses un troupeau de vaches beuglant en chœur, comme lorsqu'on ouvre le matin la porte de l'étable pour donner à manger au bétail. Sur la rive, un groupe d'hommes agitent les bras pour nous indiquer le meilleur point d'atterrissement[1]. Plus haut, sur les rochers, se trouvent plusieurs tentes jaunâtres, et près de la mer, des kayaks, des oumiaks disséminés.
ENFANT ESKIMO DU CAP BILLE. (D'APRES UNE PHOTOGRAPHIE.)avec des engins de poche et d'autres instruments. Tout autour de nous les eaux grouillent de kayaks. Comme cadre de cette scène pittoresque, figurez-vous un grand glacier, la mer parsemée de glaces et un ciel empourpré ; au milieu mettez nos deux canots montés par six hommes qui n'ont guère la mine de gens civilisés. Voilà le tableau.
Quel mouvement se donnent tous ces pauvres indigènes, et qu'ils font plaisir à voir après un long séjour dans la solitude !
Dès que nous avons débarqué et solidement amarré les canots, une foule de naturels nous entoure, nous contemplant avec étonnement. Tout le monde rit et se montre empressé à nous rendre service. Le sourire aux lèvres, c'est la salutation des Eskimos, leur idiome n'ayant aucun terme pour souhaiter la bienvenue. Ces pauvres gens paraissent mener une vie
ESKIMOS DU CAP BILLE. (DESSIN D'E. NIELSEN, D'APRES UNE PHOTOGRAPHIE.)assez heureuse au milieu de ce monde de neige et de glace ; et, ma foi, en les voyant, il nous vient le désir de rester quelque temps parmi eux.
Nous étant arrêtés à l'entrée de la plus grande tente, on nous invite par signes à y entrer ; immédiatement nous acceptons l'offre. Après avoir passé la porte, puis nous être glissés sous un rideau en peau d'intestins de phoque, en baissant la tête à cause du peu d'élévation du passage, nous voici dans une sorte de chambre éclairée par plusieurs lampes