Lorsqu'on suit, en quittant Nantes, la route de Poitiers, on traverse, avant d'arriver à Clisson, un bourg formé d'une longue rue et qui se nomme le Pallet. Après les dernières maisons, on aperçoit à gauche au-dessus du chemin une église, remarquable seulement par sa simplicité et par la vétusté de quelques-unes de ses parties. Derrière cette église et sur une hauteur, des restes de murs épais, avec des vestiges de fossés, indiquent sous le lierre qui les couvre une ancienne et forte construction, et renferment maintenant un carré d'arbustes et de grandes herbes, cimetière abandonné où s'élève une vieille croix de pierre parmi quelques modestes tombeaux. Ces ruines sont celles de la demeure des seigneurs du Pallet, détruite en 1420, lors des guerres qui suivirent l'attentat commis sur Jean V, duc de Bretagne, par Marguerite de Clisson. C'était là, qu'au XIe siècle, un petit château fortifié dominait le bourg, du haut d'une éminence à pic sur l'étroite rivière de la Sanguèze, ainsi nommée, dit-on, pour avoir été souvent rougie du sang des combattants, au temps des luttes acharnées des Bretons et des Anglais. En 1079, Philippe Ier était roi des Français, et Hoël IV, duc de Bretagne, lorsque dans ce bourg et dans ce château, son domaine, un personnage noble, Bérenger, eut de sa femme Lucie un fils qu'il nomma Pierre. C'était l'aîné de sa famille, qui s'augmenta bientôt de plusieurs enfants; ses autres fils s'appelèrent Raoul, peut-être Porcaire et Dagobert, et sa fille, Denyse. Le père, avant de prendre le métier des armes, avait reçu de l'instruction, et il en conservait un tel goût pour les lettres qu'il voulut le transmettre à ses enfants et faire précéder par quelques études leur éducation guerrière. L'amour qu'il portait à son fils aîné lui inspira des soins particuliers, auxquels celui-ci répondit par delà toute espérance. Il annonçait des dispositions brillantes. Dans cette vieille Armorique qui passait pour devoir son nom de Bretagne à la brutalité de ses habitants, on remarquait dès lors une singulière aptitude aux choses qui demandent la subtilité de l'esprit, et le jeune Pierre tenait du lieu natal, ou plutôt de sa race, une remarquable facilité. Ses progrès furent bientôt tels qu'il s'éprit d'une passion vive pour l'étude, et, dans son ardeur, il résolut de se consacrer aux lettres tout entier. Renonçant à la gloire militaire, et abandonnant à ses frères son héritage et son droit d'aînesse, il s'adonna surtout à la philosophie, et dans la philosophie, à la science de la dialectique, cet art de la guerre intellectuelle dont il préférait à tout les armes, les combats et les trophées.