Il ne faut rien revoir de ce qu'on a aimé. J'eus un jour la faiblesse de chercher témérairement à revoir les Jardies, où tant d'heures charmantes, ineffaçables, s'étaient écoulées pour moi sous le toit bâti par Balzac1. Je croyais que mes souvenirs avaient besoin de se retremper à leur source ; je me disais qu'ils exigeaient ce dernier pèlerinage dans l'intérêt de l'exactitude locale que tout lecteur biographique a le droit d'exiger de l'historien biographe, surtout de l'historien d'un homme lui-même si exceptionnellement exact dans ses mille peintures immortelles. Que ne m'étais-je pas dit pour m'imposer le voyage aux Jardies ? Eh bien ! j'avais tort d'être si pieux envers cette fidélité contre laquelle, jusqu'ici, personne ne s'est élevé, dont personne n'a douté, si ce n'est moi. À vrai dire aussi, je me mentais un peu dans cette occasion. J'avais plus besoin de voir pour mon désir personnel la propriété des jours heureux de Balzac, que pour rectifier à plusieurs années de distance les couleurs étendues sur la toile de ma mémoire.