Bel-Ami 2014

Norbert de Varenne nous fais revivre le grand classique de Maupassant. Dans une version raccourcie et punchy, suivons Bel-Ami dans le Paris de 2014.

Extrait du livre :

Quand la caissière lui rendit la monnaie de son billet de vingt euros, Jo Duroy sortit du restaurant, hésitant à lui demander son numéro de téléphone, mais ses quelques poils de moustaches reflétés par les lumières tristes des ampoules basse consommation de la brasserie l'en dissuadèrent. Jo aimait le sport en chambre, mais dans sa version glabre. On était le 28 juin et il compta ses pièces. Sa pension, attendue le 3 du mois, couvrirait largement son découvert bancaire. Mais serait à nouveau insuffisante pour lui permettre d'aborder juillet avec insouciance.

Paris somnolait sous la touffeur estivale. Et Jo regrettait de n'avoir dîné dans un endroit climatisé, qui lui aurait offert quelque répit avant d'affronter le bitume brûlant. Déambulant lentement sur les grands boulevards, il dépassa l'Opéra, longea le café de la Paix vers lequel il plongea furtivement son regard envieux, rêvant d'y être un jour attablé pour dîner. Ses yeux s'arrêtèrent sur un visage, occupé à saluer le maître d'hôtel, qu'il crut reconnaître. Surpris, Jo Duroy s'écria à voix haute « Tiens, Forrestier ! ».

Entendant son nom, Forrestier, clignant des yeux sous le soleil dur, se tourna. Hésitant, il peinait à identifier l'inconnu qui le hélait. Jo se mit à rire :

« Tu ne me reconnais pas ?

- Non

- Jo Duroy du 13e Dragon ».

Charles Forrestier sourit généreusement, embrassant son ancien camarade de troupe d'une accolade suffisamment accentuée pour qu'elle efface son embarras.

« Jo Duroy, bien entendu ! Comment vas-tu ? »

Empressé et riant, Forrestier invita Duroy à prendre un verre chez un copain, Bastien de Bastia, le patron haut en couleur du Bar Romain, où le rosé était toujours frais et dont le tartare, - fond de sauce mis au point en 1958 par Bruno Coquatrix et Lucien Papillon -, se vantait d'être le meilleur de Paris.

Depuis combien de temps ne s'étaient-ils vus ? Des années. Mais aucun des deux ne posa vraiment la question. Charles par cd que rien d'autre que lui-même ne l'intéressait vraiment, Jo parce qu'il préférait ne pas avoir à narrer ses piteux passages professionnels. Après son passage dans l'armée, il avait tour à tour été coach sportif, représentant en fenêtres PVC et en panneaux solaires, élève en formation pour réparer des ordinateurs obsolètes. Rien qui ne vaille la peine d'être mentionné à son ancien camarade. Jo était convaincu de valoir tellement mieux, qu'il avait, toujours en douceur et sans faire d'esclandre, abandonné chacune de ses étapes peu glorieuses. A quoi bon, pensait-il. Il doit y avoir mieux à faire.

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