Louis XIV était mort depuis deux ans, après avoir vu s'éteindre deux générations d'héritiers, le Dauphin et le duc de Bourgogne. Le trône échut à son arrière-petit-fils, Louis XV, enfant.
Le grand roi s'en était allé tout entier. Ce qui ne manque à personne après la mort lui avait manqué. Moins heureux que le dernier de ses sujets, il n'avait pu donner force à sa volonté suprême.
Il est vrai que la prétention pouvait sembler exorbitante : disposer par acte olographe de vingt ou trente millions de sujets !
Mais combien Louis XIV vivant aurait pu oser davantage !
Le testament de Louis XIV mort n'était, à ce qu'il paraît, qu'un chiffon sans valeur. On le déchira bel et bien. Personne ne s'en émut, sinon ses fils légitimes.
Pendant le règne de son oncle, Philippe d'Orléans avait joué au bouffon, comme Brutus. Ce n'était pas dans le même but. À peine eût-on crié à la porte de la chambre funèbre : « Le roi est mort : vive le roi ! » Philippe d'Orléans jeta le masque.
Le conseil de régence institué par Louis XIV roula dans les limbes. Il y eut un régent, qui fut d'Orléans lui-même.
Les princes jetèrent les hauts cris, le duc du Maine s'agita, la duchesse sa femme clabauda ; la nation, qui ne s'intéressait guère à tous ces bâtards savonnés, demeura en paix. Sauf la conspiration de Cellamare, que Philippe d'Orléans étouffa en grand politique, la régence fut une époque tranquille.
Ce fut une étrange époque. Je ne sais si on peut dire qu'elle ait été calomniée. Quelques écrivains protestent çà et là contre le mépris où généralement on la tient ; mais la majorité des porte-plumes cria haro ! avec un ensemble étourdissant. Histoire et mémoires, sont d'accord. En aucun autre temps, l'homme, fait d'un peu de boue, ne se souvint mieux de son origine.
L'orgie régna, l'or fut Dieu.
En lisant les folles débauches de la spéculation, acharnée aux petits papiers de Law, on croit en vérité assister aux goguettes financières de notre âge. Seulement, le Mississipi était l'appât unique. La civilisation n'avait pas dit son dernier mot. Ce fut l'art enfant, mais un enfant sublime !
Nous sommes au mois de septembre de l'année 1717. Dix-neuf ans se sont écoulés depuis les événements que nous avons racontés aux premières pages de ce récit.
Cet inventeur qui créa la banque de la Louisiane, le fils de l'orfèvre Jean Law de Lauriston, était alors dans tout l'éclat de son succès et de sa puissance. La création de ses billets d'État, sa banque générale, et enfin sa Compagnie d'Occident, bientôt transformée en Compagnie des Indes, faisaient de lui le véritable ministre des finances du royaume, bien que M. d'Argenson eût le portefeuille.
Le régent, dont la belle intelligence était profondément gâtée par l'éducation d'abord, ensuite par les excès de tout genre, le régent se laissa prendre, dit-on, de bonne foi, aux splendides mirages de ce poëme financier.
Law prétendait se passer d'or et changer tout en or.
Par le fait, un moment arriva où chaque spéculateur, petit Midas, put manquer de pain avec des millions en papier dans ses coffres.
Mais notre histoire ne va pas jusqu'à la culbute de l'audacieux Écossais, qui, du reste, n'est point un de nos personnages.
Nous ne verrons que les débuts éblouissants de sa mécanique.
Au mois de septembre 1717, les actions nouvelles de la Compagnie des Indes, qu'on appelait des filles, par opposition aux mères qui étaient les anciennes, se vendaient à cinq cents pour cent de prime.