Aux journées de juin de notre dernière révolution, la garde nationale d'une petite ville que je pourrais nommer, commandée par des chefs que je ne nommerai pas, partit pour Paris sans autre projet arrêté que celui de rétablir l'ordre, maxime élastique à l'usage de toutes les gardes nationales, quelle que soit la passion qui les domine. Celle-ci était composée de bourgeois et d'artisans de toutes les opinions et de toutes les nuances, la plupart honnêtes gens, d'humeur douce, et pères de famille. En arrivant à Paris au milieu de la lutte, ils ne surent que faire, à qui se rallier et comment passer à travers les partis sans être suspects aux uns, écrasés par les autres. Enfin, vers le soir, rassemblés dans un poste qui leur était confié et honteux de n'avoir pu servir à rien, ils arrêtèrent un passant qui, pour son malheur, portait une blouse ; ils étaient deux cents contre un. Sans interrogatoire, sans jugement, ils le fusillèrent. Il fallait bien faire quelque chose pour charmer les ennuis de la veillée. Ils étaient si peu militaires, qu'ils ne surent même pas le tuer ; étendu sur le pavé, il râla jusqu'au jour, implorant le coup de grâce.
Quand ils rentrèrent triomphants dans leur petite cité, ils avouèrent qu'ils n'avaient fait autre chose que d'assassiner un homme qui avait l'air d'un insurgé. Celui qui me raconta le fait me nomma l'assassin principal, et ajouta : « Nous n'avons pas osé empêcher cela. »