Les noms de personnes, de lieux et d'unités combattantes, qu'on trouvera dans ce résumé de la guerre dont toutes les parties sont authentiques, ont été modifiés à dessein.
H. B.
Soldat au 231e de ligne,
puis brancardier à ce même régiment,puis secrétaire d'État-Major au 21e C. A.
(1914-1917.)
Extrait: La lune s'était éteinte. La nuit s'étendait à mes pieds, et tout l'abîme noir sursautait d'éclairs sourds.
Après des heures étouffantes et lancinantes de machine à écrire, au Poste de Commandement sous la poire électrique écorchée à vif, j'avais lâché un instant ma besogne de scribe : par la petite porte du baraquement, je m'étais engouffré dans l'espace, et j'étais là, penché sur l'étendue nocturne, et rafraîchi par le vent infini. Des hauteurs de la butte de glaise qu'on appelait le Perron et où se dissimulait le Poste de Commandement du Corps d'Armée, je dominais sans la voir cette longue vallée du Clénarcisse parcourue d'un grondement spacieux et semée de météores.
Çà et là, à la lueur instantanée des obus ou des batteries aux flammes coupées, quelques points épars du couloir immense au bord duquel j'étais juché, apparaissaient, puis retombaient dans l'ombre : des fragments de l'horizon en un chaos tonitruant et blafard ; et, parallèles à l'horizon, des tronçons polis de la rivière foudroyée au fond du gouffre ; les vagues ossements d'une maison proche ou d'agglomérations lointaines, blanchis par les brusques clartés disparaissantes ; et parfois les filaments phosphorescents d'un carrefour de routes, noyés ensuite dans les profondeurs avec une rumeur d'échos.
Par moments, une rafale ininterrompue roulait à l'horizon, et maintenait, quelques secondes, comme au cinématographe, un écran de pâles glaciers.
A gauche à l'ouest, puisque j'étais au nord des fusées appelaient les regards, et sifflaient. Les tiges, feuillues de feu, s'étiraient avec précipitation, se mêlaient, s'incurvaient, et jetaient à la volée leurs lustres d'étincelles rouges et vertes, ou laissaient aller le point bleu aveuglant de leur planète de magnésium environnée de mousselines belles comme le jour. Ce feu d'artifice silhouettait, en un portant de décor d'un noir intense, la rondeur du coteau de Mareilles occupé par le 33e Corps en liaison avec le nôtre. A l'autre bout du panorama, à l'est, vers le village de Girandes, un embrasement continu d'incendie rougeoyait au loin, confusément enraciné par des bases noires et qu'estompaient des fumées pommelées de rouge vif, sous les grands manteaux d'ombre incurvée qui se poursuivaient au ciel.