Comme un pingouin sur la banquise

Un corps mutilé. Prisonnier d'une gangue qui le paralyse. Humilié, quand la vie, pourtant, le fait tressaillir et qu'il demeure cloué au sol, au fauteuil, sous le regard, mi-gêné, mi-miséricordieux, des autres, les bien portants. Voici pourtant que ce corps s'exalte, sous la seule volonté de celui qui entend rester son seul maître et ne pas se laisser enfermer dans la fatalité du « handicap ». Puisque les muscles refusent leur office, toute la puissance de l'âme, toute la vertu de l'intelligence, sont mobilisées par le narrateur pour transfigurer l'injuste sort en un combat exemplaire, pour lui, pour tous les autres, pour la dignité d'être homme, pour l'ordinaire orgueil d'être plus qu'un paquet de chair et d'os sans emploi. Un homme se construit donc sous nos yeux. De la parole torturée, il a façonné ce récit sobre, précis, tranchant et, en même temps, drôle, ironique, sans complaisance ni commisération à l'égard de soi. Sans colère, non plus, contre une improbable Providence. L'auteur dit tout de ce que nous n'osons imaginer, débusque nos propres peurs devant la maladie, met en pièces nos tabous devant les hors venus, rejetés de l'autre côté des jours tranquilles des gens normaux : le désarroi d'une famille, la solitude et la colère de qui se sait désormais séparé dès le plus jeune âge, l'acharnement à survivre, le compagnonnage avec les autres, la quête et la conquête du droit de vivre, et de surcroît, de dire le monde et sa beauté, et ses cruautés, la faim de tendresse et la sensualité amoureuse enfin arrachée et célébrée, comme un accomplissement de tout l'être. Voici l'histoire d'un homme engendré à partir de lui-même, de ses propres forces.

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