Puis il s'opère encore un autre mirage dans ce désert que l'on vient de
parcourir et où les oasis se font de plus en plus rares ; c'est que les objets
qui ont frappé la vue du corps au commencement du chemin, quand on
marchait la tête haute et les bras ouverts à la suite de ce?e belle et fugitive
déesse qu'on appelle l'espérance, objets auxquels on a fait a?ention
à peine, objets qu'on a laissés insoucieux sur la route, qu'on a méprisés
comme trop obscurs, qu'on a dédaignés comme trop humbles ; c'est que
ces objets, du moment où l'on a franchi la ligne intermédiaire, du moment
où l'on ne vit plus par l'espérance, mais par le souvenir, où cependant l'on
continue de marcher, parce que la devise de la vie est le mot Marche ! mais
où l'on marche le front incliné et les bras pendants ; c'est que ces objets,
disons-nous, reparaissent peu à peu à la vie de l'âme, et que, comme l'âme
les apprécie, fille du ciel, tout au contraire de ce que les a jugés l'orgueil,
qui est un enfant de la terre, leur obscurité devient lumière, leur humilité
devient grandeur, si bien qu'on aime ce que l'on méprisait, qu'on admire
ce que l'on a dédaigné...