Vinckx ne goûtait guère le génie du moyen âge. Il avait placé le tableau dans une antichambre décidé à s'en défaire au plus tôt. Mais peu à peu cette peinture, toute d'horreur, l'avait attiré. Il se surprenait quelquefois immobile devant elle. À ces corps maigres, étiques, avec leurs tons de cadavres séchés et si raides qu'on les eût dit taillés dans des lattes, lui, l'exubérant artiste avait fini par découvrir une beauté malade, insoupçonnée. Et de jour en en jour plus conquis, plus envahi, il avait résolu de placer l'œuvre dans son cabinet de travail afin de l'avoir sous les yeux aux différentes clartés du jour et d'analyser peu à peu son charme hantant.
Un soir, il la mit lui-même sur un chevalet, tout près de la tétonnière. Il l'examina longtemps, la disposa à recevoir en biais la lumière et vint s'asseoir à son pupitre pour juger de l'effet produit. La lampe pendue au-dessus de sa tête éclairait en plein la scène de torture. Les larrons semblaient sortir du cadre ; le nimbe de la Vierge faisait un plat d'émail ; le Christ pantelait.
Mais ce que Vinckx absorbé n'aperçut point, ce fut le trouble que jeta cette présence d'intrus parmi les hôtes immobiles de la chambre. Il se produisit un malaise général : des expressions de colères tremblèrent sur les visages ; des regards bienveillants d'ordinaire tombèrent du plafond tels que des lames d'épées ; d'autres s'obscurcirent, comme les astres s'éteignent doucement, avec une résignation de défaite et de martyre. Car les choses, elles aussi, obéissent à des sentiments humains. Elles s'aiment ou se haïssent, se comprennent ou se jalousent, se fondent ou se querellent. On ignore souvent à quels amours ou à quelles luttes, à quelles alliances ou à quels combats donnent lieu la juxtaposition de certaines couleurs, les assemblages de disparates beautés. Il y a en tout de mystérieuses lois d'attraction qui déterminent la beauté aussi bien que l'ordre. Les sympathies naissent comme les harmonies et les haines se déploient comme les désastres.