Ces notes ont été publiées dans le Journal des Débats. Quelques lecteurs ont eu l'indulgence de croire que, réunies en volume, elles formeraient un tableau de Paris pendant la guerre. L'auteur ne s'est pas rendu sans hésiter. Ces Croquis sont loin de composer une histoire. Ils n'ont commencé de paraître que vers les premiers jours de septembre 1914 ; on n'y trouvera donc ni les journées héroïques de la mobilisation, ni les semaines d'enthousiasme qui suivirent. Tracés sans ordre, au hasard des spectacles qui s'offraient à un passant, ils omettent trop souvent les faits autrement graves qui s'accomplissaient à l'heure où ces articles étaient écrits. Beaucoup de scènes qu'ils évoquent sembleront bien menues au regard du drame qui se jouait près de nous. Mais les moindres aspects d'un si grand événement valaient d'être fixés.
Le Paris de cette époque, un Paris qu'on n'avait jamais vu, est déjà loin de nous. Les pouvoirs publics quittaient la capitale. Privée de la présence de son gouvernement, mal instruite des espérances qui demeuraient permises, elle attendait les maux de l'invasion avec une fermeté qui restera son honneur. Dans le moment même où tout semblait perdu, la manœuvre oblique de von Kluck détourne d'elle le péril immédiat ; elle apprend d'abord les succès remportés sur l'Ourcq, ensuite ceux de la Marne ; puis, peu à peu, elle comprend que cette immense bataille, si lentement connue, a sauvé toute la France et brisé le plan de l'ennemi. Comment n'aurait-elle pas envisagé, dans un avenir prochain, la déroute des Barbares ? Une certitude absolue de la Victoire, l'ignorance des innombrables deuils qu'elle devait encore nous coûter, justifiaient l'allégresse virile avec laquelle chacun se résignait d'avance aux sacrifices nécessaires. Dans cette grande ville redevenue provinciale, une pensée commune unissait fraternellement les cœurs ; on se sentait entre soi, on pouvait causer en confiance et même sourire sans crainte de n'être pas compris.
L'auteur s'estimera heureux si, dans les plus frivoles de ces Croquis, le lecteur veut bien retrouver quelque chose des traits qui aux derniers jours de 1914, ont composé la figure vaillante et sereine de Paris.