Le cri que jetèrent les deux armées en voyant tomber les combattants, n'était pas encore éteint au loin, que Féodor se soulevant sur un coude, chancela. Mais, étant sur la poitrine de son adversaire, il avait l'avantage et il frappa un dernier coup bien placé. Les membres puissants de Marnai se raidirent et pour toujours demeurèrent inertes.
Un lugubre gémissement s'élevant de l'armée vaincue, monta vers le ciel. Mais il fut couvert par les féroces acclamations des Russes. Et menés par le Prince[1] de Kief lui-même, le terrible « Vladimir » (maître du monde), dont l'épaisse chevelure blonde ballottait sur son cou nu comme une crinière et dont l'énorme main brandissait sa hache de bataille, ceux-ci s'élancèrent en grande trombe sur leurs adversaires indécis et découragés.
Les Tartares prenaient toujours avec eux de légers chariots dans lesquels ils voituraient leurs femmes et leurs enfants ainsi que le butin provenant des pillages. Ils avaient pour coutume de ranger ces wagons en carré, derrière leur armée, formant ainsi une espèce de camp fortifié tel qu'on les aperçoit de nos jours dans les « laagers » des Boers Hollandais du Transvaal.
Un retranchement aussi puissant, gardé par des hommes qui, à cent mètres, d'une flèche, attrapaient un corbeau au vol ou transperçaient d'un seul coup et l'armure et le corps d'un ennemi, avait fait du combat une bataille acharnée. Si les Tartares avaient seulement eu le temps de se rallier derrière ces chariots, ils auraient pu regagner les moments perdus, mais la poursuite fut trop violente pour leur donner cette chance de salut. Les Russes, victorieux, se trouvèrent au milieu d'eux et vainqueurs et vaincus, dans un mélange sanglant, se précipitèrent dans le camp comme une vague impétueuse.
Dans le tumulte et le tohu-bohu, le Prince Vladimir s'était séparé de ses hommes et se frayant un chemin à travers les combattants, il vit tout à coup une scène qu'il contempla avec intérêt...