Il y a six semaines, au moment où la session s'est ouverte, les ministres et leurs amis étalaient en tous lieux une confiance présomptueuse. A les entendre, la politique du cabinet avait remporté, au dehors comme au dedans, une victoire éclatante et définitive, une victoire telle que les adversaires de cette politique devaient eux-mêmes reconnaître leur défaite et se condamner au silence. Jamais d'ailleurs publique n'avait été plus satisfaite, la vie politique plus éteinte, l'opposition plus divisée et plus impuissante. C'est tout au plus si deux questions spéciales, celle de l'Université et celle des légitimistes, pouvaient soulever quelques débats dans la chambre. Sur tout le reste, le cabinet n'avait pas un mot à dire. Il lui suffisait de monter au Capitole et de rendre grace à la fortune.
Assurément, cette opinion n'était pas celle des hommes politiques de quelque valeur, de ceux dont l'œil est assez pénétrant pour saisir la réalité à travers de vaines apparences. Sous quelques faux semblans plus ou moins spécieux, ces hommes distinguaient très nettement une politique stérile au dedans, faible au dehors. Ils savaient aussi qu'une telle politique, quel que fût son succès passager, ne peut convenir long-temps à la France, dont elle mine, dont elle détruit à la fois la grandeur et les institutions ; mais au milieu de l'abattement des esprits et de la fièvre des intérêts privés, ces hommes doutaient que le jour du réveil fût venu.