Aujourd'hui la main ridée de Mlle Adélaïde tremblotte. Les doigts moins sûrs et moins lestes ont toutes les peines du monde à passer le fil dans le chas de l'aiguille. Les yeux distinguent mal les joints de l'étoffe. À l'intérieur du corps de la petite vieille, l'estomac est tiraillé par des crampes. Enfin, après les repas, Mlle Adélaïde somnole légèrement sur l'ouvrage.
À la longue, ces dames se sont aperçues de tout cela. Mais à part Mme Bélin, une exigeante, femme d'un sous-chef au ministère des finances, toutes ont conservé Mlle Courtois. Elles ont besoin d'échanger avec elle, une fois par semaine, une série de petits papottages, de confidences très anciennes déjà, très rebattues, sans incident, sans imprévu. Elles regardent peu ou point au travail. Il leur suffit de parlotter de vieilles choses toujours neuves pour elles, Mlle Adélaïde est de leur maison depuis si longtemps ! depuis si longtemps aussi, elle a su les écouter avec une si grande déférence, rester si bien à sa place, ne pas hasarder un mot superflu, exhaler un soupir ou esquisser un sourire selon les circonstances, être toujours, toujours du même avis que « Madame. » Et quelle discrétion ! Pas un cancan, pas un commérage. Mlle Adélaïde n'a jamais raconté chez l'une de ses clientes ce qui se dit chez les autres.
Elle connaît pourtant bien des aventures. Tous les mercredis, par exemple, Mme Brunschwig revient en détail devant la couturière sur la faillite que fit M. Brunschwig en 1856.