L'ÉTÉ de 1581 fut une époque bien funeste pour la ville de Bourges. Durant trois longs mois d'une saison dévorante, la plus affreuse tristesse régna dans la noble capitale du Berry. Le peu d'habitats qu'on voyait passer dans les rues mornes et silencieuses, lui donnaient l'air d'un vaste cimetière, où quelques vivans épars, à travers les fosses et les pierres tumulaires, vont donner une larme de souvenir aux cendres de leurs amis. Oh ! certes, elle pouvait bien l'être sombre et taciturne, la vieille cité, en ces jours-là ! C'est qu'il n'était pas rare de trouver au milieu d'une place ou au coin d'un carrefour, un corps mort ou mourant, un cadavre livide et plombé ! C'était affreux ! Figurez-vous donc une cité populeuse qui devient tout-à-coup plus lugubre qu'un champ de repos funéraire. Ici du moins, on pense seulement a la mort, on ne la voit point, on ne voit pas seulement la hideuse agonie. Pauvre ville ! La mort gisait quelquefois dans ses rues, et quelquefois aussi, l'agonie s'y débattait dans les dernières convulsions, y râlait les derniers soupirs. Hélas ! on eût dit que l'enfer avait vomi dans l'air une légion de ses esprits impurs enveloppant ses muraille comme un invisible réseau qui étouffait les malheureux habitans.
C'était la peste !
La peste ! Elle frappait partout, à tort et à travers, sans jamais dire gare ! elle passait partout : malheur à qui se trouvait sur son chemin ! son souffle empoisonné le tuait ; c'était inévitable.
Or, par une belle journée du mois de juin de cette horrible année, un lundi matin, il n'y avait point de pain dans une maison noire et délabrée de la rue qui adossait son flanc gauche aux murs de la Sainte-Chapelle, et aboutissait au vieux rempart dit de la Chaussée. Il n'y avait pas de pain dans cette maison-là ! et pourtant, il y avait deux êtres humains qui avaient besoin de manger C'était une vieille femme et une jeune enfant : un hideux et noir démon et un ange pur et candide. Là, comme partout, la pauvre enfant exilée du ciel tremblait devant l'horrible fantôme ; car le fantôme parlait en maître, et il était effrayant 1 Il avait nom Elmoht, et la belle enfant s'appelait Ezilda ; elle avait onze ans..
Depuis huit années, l'arbre venimeux étouffait la jeune fleur ; le dragon fascinait la colombe ; Elmoth gardait Ezilda !