Tel Saint-Germain ou Cagliostro, ces illustres illusionnistes qui ont enchanté les derniers beaux jours du XVIIIe siècle, Favre de Thierrens laisserait volontiers croire qu'il n'a pas d'âge, que sa vaste érudition n'est qu'une sorte de mémoire séculaire, que ses fabuleuses collections sont le fruit de voyages à travers les cours d'Europe, cadeaux de souverains qu'il a charmés, et que son talent lui-même n'est qu'un jeu, une fantaisie, un caprice de grand seigneur qui, par curiosité, de Mécène s'est fait artiste et, à la surprise générale, s'est révélé un maître... Il a pourtant une date de naissance, des aieux, une carrière militaire glorieuse : né à la fin d'une époque qui fut belle, dans une ville qui se souvient encore de Rome ; il est l'héritier d'une antique civilisation, à laquelle son extraordinaire vitalité donne un lustre nouveau. Patricien romain, formé à l'école du XVIIIe siècle, il a su traverser le XXe avec la sérénité d'un épicurien du temps d'Auguste, l'éclectisme d'un esprit de la Renaissance, et la fougue d'un cavalier de l'épopée impériale. Héros, que son invulnérabilité quasi miraculeuse fit sortir vainqueur de vingt combats, il y a en lui quelque chose de magique, qui le place en dehors des voies ordinaires de la destinée humaine : il passe, tour à tour, de l'Aviation de chasse pendant la Première Guerre, aux services secrets de l'Armée pendant la Seconde, du métier des armes à celui des arts, et qu'il soit peintre, poète ou collectionneur, gentleman farmer ou cinéaste, il excelle dans tous les domaines où il s'aventure, et sa réussite exceptionnelle en tant que peintre lui vaut désormais une réputation qui dépasse peut-être ses autres titres de gloire. Ayant vécu ce que d'autres n'ont même pas rêvé, Favre de Thierrens peut se vanter d'avoir tout fait dans son existence, sauf un roman, mais sa vie n'en est-elle pas un ?