La poésie vraiment épique, voix presque inconsciente des peuples dans leurs premiers âges, alors qu'ils célèbrent avec une croyance encore naïve les actes merveilleux attribués à leurs dieux et à leurs héros ou bien les souvenirs transfigurés de leur enfance, n'est pas restée le privilège de quelques nations favorisées entre toutes. On la retrouve chez des peuples presque sans histoire, qui ne comptent point parmi les heureux de ce monde, auxquels ne sont échus ni un climat heureux, ni un sol fertile. Comme sur le roc aride des hauts sommets poussent des fleurs clair-semées, mais aux couleurs vives et aux senteurs pénétrantes, des mousses et des lichens aux sucs puissans et actifs, de même cette humble poésie des races anonymes se trouve quelquefois douée d'une saveur et d'un parfum sauvage qui ont beaucoup de prix. Les peuples ou les tribus chez lesquels un pareil essor de poésie nationale s'est rencontré ne méritent pas le dédain de l'histoire. Ce n'est pas seulement le littérateur et le moraliste qui doivent s'intéresser à leur développement intellectuel ; il y a lieu aussi de rechercher s'ils ne peuvent pas accuser notre ignorance à leur égard, c'est-à-dire si quelques parties de leurs annales ne nous sont pas à tort inconnues, ou bien de chercher à prévoir si une part active dans l'avenir ne leur est pas réservée.