L'histoire de la littérature canadienne-française offre cette singularité que ses meilleurs écrivains se rencontrent à ses débuts et à la période contemporaine : le prologue et l'épilogue ont plus d'importance que le corps de l'ouvrage. S'ils comptent des noms remarquables, les âges intermédiaires, jugés dans l'ensemble, ne s'élèvent guère au-dessus d'une honorable médiocrité.
Non qu'aient été de grands écrivains les précurseurs comme Jacques Cartier, Marc Lescarbot ou Champlain. Que la langue du temps paraisse plus riche aux esprits qui jugent à la hâte ne nous doit donner le change. Libre à nous pourtant d'en goûter la naïveté et le pittoresque.
Et puis ces livres sont nos archives, le terrier de nos origines.
Pour son récit de 1609, Marc Lescarbot n'eut pas plus que ses confrères de l'époque le titre bref, et c'est un plaisir que de le citer :
Histoire de la Nouvelle-France, contenant les navigations, découvertes et habitations par les Français des Indes occidentales et Nouvelle-France, sous l'aveu et autorité de nos Rois très chrétiens, et les nouvelles fortunes d'iceux en l'exécution de ces choses depuis cent ans jusqu'à d'hui : en quoi est comprise l'histoire morale, naturelle et géographique de la dite province, avec les tableaux et figures d'icelles.
Dans son style, Lescarbot ne laisse pas de nous faire sentir qu'il vécut sous le règne du bon Roy Henry, et l'on découvre chez lui une verdeur de langage qui était alors monnaie commune.
On remarquera aussi comme un air de parenté avec nos formules juridiques et singulièrement nos actes notariés. C'est que, traditionnaliste, le Canadien français, et dans la paysannerie et dans quelques-unes de ses professions libérales, a gardé précieusement un parfum vieille France dont on trouverait moins de trace dans la France métropolitaine de notre temps.
Un phénomène presque semblable a pu s'observer aux États-Unis, où jusqu'en 1880, la prose, voire la poésie, retardaient sur la prose et la poésie anglaises.
Un Brunetière parlerait d'influence à retardement. Il y eut de cela. Pour être juste, souvenons-nous pourtant que le grand siècle eut aussi sa littérature à retardement, puisqu'en dépit de son incomparable originalité, il s'en tint à l'imitation des Anciens. Au surplus, Virgile lui-même suivait Homère pas à pas. Ces explications n'expliquent jamais rien.
Dirons-nous que les Relations des jésuites font partie de la littérature canadienne ? Assurément, ne serait-ce que pour cette raison que les martyrs ont payé assez cher ce qu'on appelle les lettres de naturalisation.
De style très simple et qui contraste avec la prose doucereuse de nos divers messagers missionnaires, ces relations ont exercé grande influence. N'eussent été les Relations, beaucoup des pamphlétaires mécréants du dix-huitième siècle n'auraient jamais écrit leurs diatribes, et il faut confesser sans fausse honte ni respect humain que le pittoresque des jésuites, fondé sur des observations forcément rapides mais justes, passe de loin le pittoresque un peu plaqué de Voltaire et des autres. Joignez que les Relations sont une leçon constante d'héroïsme : Corneille et Polyeucte étaient de ce temps. Elles comptent de fort belles pages, sans fioritures ni bavures. Ajoutez qu'en un siècle qu'on a qualifié un siècle d'éloquence, la pudeur empêchait d'élever la voix et, dans l'ordre spirituel, les actions d'éclat n'en prenaient que plus de valeur.