On trouvera dans le présent livre cette phrase : « L'homme fait des projets, sans compter sur la mort, et nul n'est sûr d'achever la ligne commencée. »
Théophile Gautier avait dans ses derniers jours formé bien des projets qu'il n'a pas eu le temps de réaliser, et, dans toute la plénitude de sa puissance intellectuelle, la plume lui glissa des doigts. Malgré toute son énergie, il lui fut impossible d'achever « la ligne commencée. »
Le hasard, ou, pour dire plus juste, un concours particulier de circonstances, qui ne saurait en rien intéresser le lecteur, a voulu qu'il nous fût permis de recueillir la tradition la plus précise de ses projets. Pendant bien des années les plans de reconstruction de son œuvre furent l'objet de causeries de chaque jour entre Théophile Gautier et nous. Déjà à une époque où nous ne pensions pas que jamais il nous serait donné d'achever cette difficile tâche, nous avions dans une faible proportion collaboré à de premiers essais ; l'exécution en fut interrompue par les événements qui agitèrent ces dernières années. Le travail préparatoire n'en fut pas moins continué, et nous espérions bien avoir le bonheur d'aider notre illustre ami dans l'accomplissement de son travail. La Mort en a décidé autrement, et nous voici aujourd'hui chargé de la lourde responsabilité d'entreprendre sans lui ce que nous eussions été si joyeux et si fier d'achever sous ses ordres.
La série des volumes que nous allons publier se composera d'œuvres qui seront nouvelles pour la presque totalité du public.
On ne saurait dire qu'elles sont inédites dans le sens absolu du terme, puisque les éléments qui les composent ont déjà paru dans les journaux et dans les revues ; mais, sauf des exceptions extrêmement rares, tous les ouvrages réputés inédits qui sont publiés de nos jours se trouvent dans le même cas.
Dans un feuilleton (15 juillet 1854) Théophile Gautier disait :
« La librairie ne produit guère que des réimpressions. Il semble que chacun, en attendant l'ère nouvelle qui va s'ouvrir, recueille ses titres et ramasse son bagage dispersé dans les journaux et les revues. Peu de livres sont inédits. La plupart des ouvrages ont paru au moins par fragments, mais c'est avec plaisir qu'on retrouve réunis et reliés pour la bibliothèque ces mémoires, ces études, ces romans, ces nouvelles, éparpillés au vent de la publicité. Beaucoup ont jeté ainsi leurs meilleures pages qu'ils ont oubliées et dont la postérité se souviendra. »
Pour Théophile Gautier, plus que pour tout autre, il est aisé de réunir ces pages que la postérité réclame dès maintenant.