« Samprebleu de samprebleu ! Voilà encore ce maudit gamin qui perd son temps à lire les gazettes, au lieu de travailler à ses chandelles ! »
Maître Sansonneau lança vigoureusement cette apostrophe ; puis soufflant, rouge de colère, marchant aussi vite que le lui permettaient ses courtes jambes et son gros ventre, il traversa la cour pavée qui s'étendait derrière son magasin d'épices, et se dirigea vers un petit réduit d'où s'exhalait une odeur fade de graisse fondue mêlée aux senteurs aromatiques de la résine.
Sur le seuil de la porte, il s'arrêta. Ses yeux bleu faïence roulèrent dans les étroites alvéoles que leur laissait la large face au triple menton ; et se croisant les bras :
« Samprebleu de samprebleu ! reprit-il d'une voix rude ; méchant galopin ! Fainéant ! Toujours le nez dans les gazettes ! C'est ça qu'il appelle travailler. »
Surpris en flagrant délit, l'enfant se retourna brusquement, rougit jusqu'aux oreilles, et balbutiant, chercha, sans la trouver, une excuse plausible. Certainement, il redoutait pour le moins une ou deux taloches de maître Sansonneau, car d'instinct il leva le coude à hauteur de sa joue. Mais la taloche ne tomba pas : chez le marchand d'épices, la colère venait de faire place tout d'un coup à un immense dédain. Hochant la tête et plissant la lèvre, il laissa tomber ces paroles :
« Non, décidément, mon pauvre garçon, tu n'arriveras jamais à rien ! à rien ! entends-tu ? Jamais tu ne seras capable d'être commis dans les épices Ah ! ton père a eu vraiment une drôle d'idée de t'apprendre à lire On dirait qu'il a pris à tâche de faire de toi un mauvais sujet
Oh ! patron, protesta l'enfant.
Le voilà qui raisonne, maintenant ! s'écria le gros homme repris par la colère ; oui, c'est bien ça : les mauvaises lectures l'ont perdu !
Ce n'est pas mal, ce que je lisais, patron. Je lisais la nouvelle de la prise de Longwy par les Prussiens et l'appel aux patriotes
Longwy ! Les Prussiens ! Est-ce que ça te regarde ? Est-ce que ça fait ton ouvrage ? Les patriotes ! Est-ce que tu sais ce que c'est ? Tiens, vois, sacripant ! ton feu est éteint, ton suif est figé, ta résine est froide, et tes moules, là sur l'établi, ne sont pas seulement préparés ! Il n'a même pas taillé son coton pour les mèches ! »
Suffoqué par cette dernière constatation, maître Sansonneau leva les bras au ciel.
« Non ! reprit-il après une pause, non, c'est fini ! Je ne veux plus de toi ! Je te chasse »
Il s'était rapproché et secouait le gamin par la manche.
« Mon garçon, tu me coûtes par jour environ seize sols de nourriture, je te loge, maîtresse Sansonneau paie ton blanchissage Puisque tu es si savant, tu peux compter ce que ça fait au bout de l'an. Tu n'es qu'un ingrat, tu n'as pas su reconnaître mes bienfaits lorsque j'ai consenti à te garder, après la mort de ton père, pour te mettre à même de te faire une position. Mais c'est fini !Enlève ton tablier et va où tu voudras chercher de l'ouvrage. Allons ! dépêchons ! »
L'enfant pâlit ; une larme perla sur le bord de ses cils noirs, son regard chercha les yeux de maître Sansonneau, et une supplication monta à ses lèvres :
« Oh ! patron, murmura-t-il, je ferai mon possible pour vous contenter. »
Mais le gros homme était buté, sans doute ; peut-être aussi car il n'était pas mauvais homme voulait-il simplement donner une verte leçon à son apprenti ; en tous cas, il parut inébranlable.
« Non ! mon garçon, reprit-il, non et non ! J'en ai assez ! Demain ce serait à recommencer ! La seule chose que je puisse faire pour toi, c'est de t'autoriser à venir coucher ici jusqu'à ce que tu aies trouvé de l'ouvrage. »
Devant cette ferme déclaration, le gamin n'insista pas ; il refoula ses larmes ; lentement, il dénoua son tablier de grosse toile, le plia, et le déposa sur l'établi, pendant que maître Sansonneau retournait à sa boutique, la sonnet