Extrait :
Semion Ardalionovitch me dit avant-hier :
Ivan Ivanitch, ne t'arrive-t-il jamais d'être ivre ?
Singulière question, dont, pourtant, je ne m'offensai pas. Je suis un homme placide que certaines gens veulent faire passer pour fou. Naguère un peintre a désiré faire mon portrait. J'ai consenti à poser et la toile a été admise dans une exposition. Quelques jours après, je lisais dans un journal qui parlait de ce portrait : « Allez voir ce visage maladif et convulsé qui semble celui d'un candidat à la folie » Je ne m'en vexai en rien. Je n'ai pas assez de valeur comme littérateur pour devenir fou à force de talent. J'ai écrit une nouvelle : on ne l'a pas insérée. J'ai écrit un feuilleton : on l'a refusé. J'ai porté ce feuilleton à beaucoup de directeurs de journaux : on n'en a voulu nulle part.
Ce que vous écrivez manque de sel, m'a-t-on dit.
« De quel genre de sel ? ai-je demandé un peu ironiquement. De sel attique ? »
On ne m'a pas compris du tout. Alors, le plus souvent, je traduis des livres français pour nos éditeurs. Je rédige aussi des réclames pour les négociants : « Acheteurs, attention ! Procurez-vous cet article rare : le thé rouge des plantations de »
Pour un panégyrique de feu Piotr Matveievitch, j'ai reçu une assez forte somme. J'ai composé l'Art de plaire aux Dames, commandé par un éditeur. J'ai fabriqué environ soixante livres de ce genre dans ma vie. J'ai l'intention de faire un recueil des mots spirituels de Voltaire, mais j'ai peur que cela ne paraisse un peu fade chez nous. Et voilà toute mon histoire d'écrivain.