Mais Saccard, s'étant tourné, reconnut Mazaud, l'agent de change, à
la table voisine de la sienne. Il tendit la main.
? Tiens ! c'est vous. Bonjour !
? Bonjour ! répondit Mazaud, en donnant une poignée de main distraite.
Petit, brun, très vif, joli homme, il venait d'hériter de la charge d'un de
ses oncles, à trente-deux ans. Et il semblait tout au convive qu'il avait en
face de lui, un gros monsieur à figure rouge et rasée, le célèbre Amadieu,
que la Bourse vénérait, depuis son fameux coup sur les Mines de Selsis.
Lorsque les titres étaient tombés à quinze francs, et que l'on considérait
tout acheteur comme un fou, il avait mis dans l'affaire sa fortune, deux
cent mille francs, au hasard, sans calcul ni flair, par un entêtement de
brute chanceuse. Aujourd'hui que la découverte de filons réels et considérables
avait fait dépasser aux titres le cours de mille francs, il gagnait
une quinzaine de millions ; et son opération imbécile qui aurait dû le
faire enfermer autrefois, le haussait maintenant au rang des vastes cerveaux
financiers. Il était salué, consulté surtout. D'ailleurs, il ne donnait
plus d'ordres, comme satisfait, trônant désormais dans son coup de génie
unique et légendaire. Mazaud devait rêver sa clientèle...