On y voyait des rochers énormes, à fleur d'eau, contre lesquels plus
d'un vaisseau s'était brisé, et que les légendes terribles rendaient fameux
dans tout le golfe de Saint-Laurent.
Construite en bois, à l'exception de la maison du Gouvernement, et
d'un très petit nombre d'habitations particulières, appartenant à des armateurs,
la ville faisait déjà un commerce considérable, dont le hareng, la
morue et les huiles de poisson formaient les articles principaux.
La pêche était donc l'occupation par excellence de ses habitants, qui
y consacraient la plus grande partie de leur temps.
La population, y compris la garnison, s'élevait à dix ou douze mille
individus. Elle se composait généralement d'Anglais ; mais on y remarquait
quelques Canadiens, descendants de ces malheureux Acadiens
qui furent si indignement persécutés par la Grande-Bretagne, à la fin du
XVII? siècle, et même quelques Français d'outre-mer.
Parmi ces derniers se trouvait une famille riche et très considérée dans
le pays.
Son chef se nommait M. du Sault. Il était arrivé dans la NouvelleÉcosse,
quelque vingt ans auparavant, avec sa femme et deux enfants en
bas âge.
Aujourd'hui, Bertrand, l'aîné de ces enfants, était âgé de vingt-deux
ans ; Emmeline, sa soeur, en comptait vingt.
Ils vivaient chez leurs parents, dans une belle campagne sur les bords
de la mer, à un demi-mille environ d'Halifax.
Jamais frère et soeur ne s'aimèrent plus qu'eux ; jamais natures sensibles
ne furent mieux faites pour s'entendre. Toujours ensemble, toujours
d'accord, ils n'avaient point de secrets l'un pour l'autre. Ils chérissaient
également M. et madame du Sault, qui leur rendaient ce?e tendresse avec
usure.