Capter l'insaisissable, le flux du temps, telle est la préoccupation majeure de Virginia Woolf à travers son oeuvre. Dans ce troisième roman, publié en 1922, elle entend faire le portrait de Jacob, jeune britannique de petite noblesse, mort très jeune au champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Plutôt que de tenter de trouver la voix de Jacob, l'écrivain s'approche de ceux qui l'ont connu de près ou de loin, persuadée que c'est en accordant leurs visions qu'elle effleurera la complexité de ce personnage. La mère, devenue veuve très tôt, les femmes aimées, trahies, les camarades de Cambridge, qui se livrent en même temps qu'ils l'évoquent. Leurs voix se heurtent, s'interrompent, s'unissent parfois, à l'image du choc brutal que représentent la rencontre entre les êtres et leurs tentatives pour se comprendre.
La grande force de ce récit réside dans la justesse avec laquelle Virginia Woolf rend compte des sentiments, de leur inconstance, et du flot capricieux de la mémoire. Replaçant l'intimité de chacun dans un cadre plus large, naturel ou urbain, elle donne ainsi à entendre la musique des âmes, sur fond de vacarme du monde.
Situé dans l'Angleterre d'avant-guerre, le roman évoque d'abord l'enfance de Jacob, avant de le suivre à l'université de Cambridge, puis lors de son entrée, à l'âge adulte, dans la société anglaise de son temps. Le récit est raconté presque entièrement par les points de vue alternés de femmes qui ont compté dans la vie de Jacob, notamment la sage Clara Durrant et la délurée Florinda, une étudiante en arts avec qui il a une liaison. La vie du jeune héros à Londres accapare une grande partie du récit, bien que vers la fin du roman, le héros voyage en Italie et en Grèce. À la fin du livre sa mère et son ami sont dans la chambre vide et on comprend que Jacob est ..