Je le sais, je le sais bien. Je suis aujourd'hui un vieux dégoûtant. Mais les temps sont changés. Personne ne se lave maintenant. On n'en a plus les moyens. Voici soixante ans que je n'ai vu un morceau de savon. Vous ne savez pas ce que c'est que du savon ? Je ne perdrai pas mon temps à vous l'apprendre, puisque c'est l'histoire de la Mort Écarlate que je suis en train de vous raconter Vous connaissez ce qu'est une maladie. Autrefois on disait une « infection ». Il était admis que les maladies provenaient de germes malfaisants. J'ai dit « germe ». Retenez bien ce mot. Un germe est quelque chose de tout petit. De plus petit encore que les tiques qui s'accrochent, au printemps, au poil des chiens et à leur chair, lorsqu'ils courent dans la forêt. Oui, un germe est beaucoup plus petit, si petit qu'on ne peut le voir.
Hou-Hou s'esclaffa :
Tu es drôle, grand-père, tu nous parles de choses que l'on ne peut pas voir. Mais alors comment sait-on qu'elles existent ? Ça n'a pas de bon sens.
Bien, très bien ! Hou-Hou, excellente question que la tienne, Apprends donc que pour voir ces choses, et bien d'autres encore, nous possédions des instruments appelés « microscopes ». Microscopes, entends-tu bien ? Microscopes et « ultramicroscopes ». Grâce à ces instruments que nous approchions de nos yeux, les objets nous apparaissaient plus grands qu'ils ne sont en réalité. Et nous percevions ainsi ceux même dont nous ignorions l'existence. Les meilleurs de ces ultramicroscopes grossissaient un germe quarante mille fois. Quarante mille, c'est-à-dire quarante coquilles de moules, qui représentent elles-mêmes mille doigts Puis, à l'aide d'un second instrument que nous appelions le cinématographe, oui « ci-né-ma-to-gra-phe », ces germes, déjà grossis quarante mille fois, nous apparaissaient grandis des milliers et des milliers de fois encore. Prenez un grain de sable, mes enfants ! Partagez-le en dix. Puis prenez un de ces dix morceaux et brisez-le encore en dix. Puis un de ces dix partagés derechef en dix.