Nous sommes dans la ville de Cosme, en Milanais, pendant les premiers jours de l'année 1800, tout à fait à l'aurore du grand siècle des sciences physiques. Si nous entrons dans le cabinet d'un physicien retiré dans cette ville, à la fin d'une longue carrière d'enseignement, nous y apercevrons un homme déjà âgé, qu'entoure tout un étrange attirail. Des pièces d'argent monnayé, des rondelles ou palets de zinc et de cuivre, sont épars autour de lui. Sur sa table, se dressent trois baguettes de bois, entre lesquelles il vient de superposer avec le plus grand soin, et toujours dans le même ordre, un palet de cuivre, un palet de zinc, une rondelle de drap mouillé ; puis encore, et toujours dans le même ordre, un palet de cuivre, un palet de zinc, une rondelle de drap mouillé.
Tout cet ensemble forme un entassement, une pile, composée d'une série de disques de cuivre et de zinc, chacun de ces couples se trouvant constamment et uniformément séparé de l'autre, par un disque de drap humecté. L'œil fixé sur ce singulier assemblage, notre savant paraît en proie aux plus vives préoccupations. On dirait qu'il entrevoit par la pensée, tout un monde de vérités ignorées et sublimes. Près de lui est un écrit qu'il s'apprête à relire, c'est une longue lettre portant pour suscription : À sir Joseph Banks, président de la Société royale de Londres.
Que signifie cet arrangement singulier, cet instrument bizarre dont rien ne peut encore nous faire comprendre le but ? Le vieux savant est-il tombé en enfance ou en manie ? Mais suspendons toute interprétation injurieuse. Cet homme est Alexandre Volta. Cet appareil, c'est la pile, nom que l'inventeur lui donne, pour ne rien préjuger de ses effets et rappeler seulement l'ordre qui préside à sa disposition. Ce nom, provisoirement et arbitrairement adopté, restera désormais, (et malheureusement, car il n'est pas de nom plus impropre), attaché à cet appareil.
Rien ne peut faire prévoir encore l'importance de cet instrument nouveau. Mais attendez quelque temps, trois mois à peine, et lorsqu'une étude rapide aura permis d'entrevoir ses principaux effets, vous ne tarderez pas à vous convaincre qu'il constitue le plus puissant, le plus merveilleux des appareils qu'ait enfantés la science des hommes. Un rapide coup d'œil jeté, par avance, sur les principaux effets de la pile de Volta, va nous montrer que rien n'est comparable à la puissance, à la variété, à l'universalité de ses effets.
Réunissez, au moyen d'un fil métallique, les deux extrémités qui terminent cette pile de disques accumulés, et voici les effets variés, autant qu'extraordinaires, que vous obtiendrez à volonté.
Entre ces deux fils rapprochés à une faible distance, on voit jaillir une flamme, qui, lorsqu'elle est produite dans des conditions spéciales, efface, par sa prodigieuse intensité, toute lumière artificielle, et qui n'est comparable qu'à l'éclat même du soleil.
Si l'on réunit par un mince fil conducteur, les deux pôles de cet instrument, de telle sorte que le fil interposé serve seul à l'écoulement du fluide électrique, on aura entre les mains le plus énergique foyer de chaleur dont les hommes puissent disposer. Par la masse de calorique accumulée en ce point, on met en un instant en fusion, et l'on réduit même à l'état de vapeurs, les métaux les plus réfractaires. Le fer, infusible dans nos feux de forge ; le platine, le plus réfractaire des métaux ; les corps non métalliques, tels que la silice ou l'alumine, composés absolument infusibles ; le diamant même ; en un mot, presque toutes les substances sans exception appartenant au règne minéral, sont amenées, en un instant à l'état de fusion, par ce foyer sans rival.