Michiels s'en désolait. Il aimait le travail, mais une incessante congestion cervicale paralysait son intelligence, d'une bonne moyenne belge, savez-vous ? Tout lui coûtait un effort. Perpétuellement somnolent et perpétuellement obligé d'agir, il ne sortait pas de la mauvaise humeur découragée et baillante d'un serviteur tiré de son repos avant l'heure. Le marasme le rongeait.
Comment guérir ? Ah ! qu'il était loin de cette belle santé flamande, proverbiale et fausse, dont l'étranger gratifie naïvement ces grosses bedaines, qui, pour ceux qui connaissent nos misères, sont le réceptacle et le témoignage de la morne maladie des amateurs de bière.
Comment guérir ?
Il s'était plaint à ses camarades de table du Borgval, son estaminet favori depuis quatorze ans. Tous, lâchement soumis au même vice et victimes du même alanguissement, lui avaient répondu : Rien à faire. Ils se résignaient à leur affaissement quotidien avec le fatalisme des mangeurs d'opium. Il avait consulté le médecin du quartier, qui, du reste, buvait comme les autres les torpides breuvages. Celui-ci avait répondu, en riant : « Ne boire que de l'eau et ne plus fumer, si vous pouvez. » Michiels avait pris ce conseil pour une énorme plaisanterie. Le pharmacien l'avait purgé : il avait été soulagé pendant deux jours, puis la cagoule de ses idées sombres lui avait, de son éteignoir, recoiffé la tête. Une nuit, en rentrant, passant le pont des Riches-Claires, il s'était machinalement accoudé sur le parapet : la Senne roulait au dessous ses épaisses et fétides eaux d'égout. Mélancolique, hypocondre, il avait pensé s'y jeter. Un acte interruptif d'une prescription arrivée au dernier jour utile, à signifier le lendemain, l'avait retenu : pour l'huissier le devoir avant tout.