Nous sommes à Marseille, le premier jour de juin 1857.
Pendant toute la journée, un soleil de plomb avait dardé ses rayons de feu sur le port, transformant en désert le quai de la Joliette.
Quiconque a habité, ou seulement traversé Marseille l'été, connaît ces journées torrides, pendant lesquelles toute vie active, tout mouvement semblent éteints, et que bravent seuls, çà et là, de rares débardeurs bronzés, fumant à l'ombre de monceaux de ballots, de piles de madriers, cet âcre tabac du Levant qui prend à la gorge.
La forêt de mâts qui se dresse bord à quai fait songer au bois mystérieux de Macbeth. Elle semble déserte, morte aussi, elle, comme le quai, comme le port, comme la -ville qui s'étend au loin. Nul bruit ne sort de ce fouillis inextricable de mâts et de vergues, et cependant on sent que pareil à la forêt de Dunsiname, il peut se mettre en mouvement. Un ciel bleu clair, d'un bleu levantin, chauffe à blanc cette scène morne, et de l'eau du port, attiédie et troublée, monte une insupportable odeur douceâtre qui appelle la nausée.
Cependant la chaleur devenait moins forte et sur le quai de la Joliette, où nous transportons le lecteur, la vie revenait peu à peu.
Quelques matelots sortaient des cabarets et des tavernes qui bordent le port en cet endroit. On entendait dans le lointain des cris et des rires ; une fille chantait un refrain en patois, et, des navires serrés les uns contre les autres, les hommes de veille qui avaient fini de dormir se hélaient de loin en loin.
Des débardeurs s'étaient déjà remis à un chargement commencé, lorsque l'un d'eux, attiré par hasard du côté d'un énorme stock de balles de coton, s'écria :